Page:Desbordes-Valmore - Les Pleurs, 1834.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
9
LES PLEURS.

L’été, le monde ému frémit comme une fête ;
La terre en fleurs palpite et parfume sa tête ;
Les cailloux plus clémens, loin d’offenser nos pas,
Nous font un doux chemin : on vole, on dit tout bas :
« Voyez ! tout m’obéit, tout m’appartient, tout m’aime !
» Que j’ai bien fait de naître ! et Dieu, car c’est Dieu même
» Est-il assez clément de protéger nos jours,
» Sous une image ardente à me suivre toujours ! »

Que de portraits de toi j’ai vu dans les nuages !
Que j’ai dans tes bouquets respiré de présages !
Que de fois j’ai senti par un nœud doux et fort,
Ton ame s’enlacer à l’entour de mon sort !
Quand tu me couronnais d’une seconde vie,
Que de fois sur ton sein je m’en allais ravie,
Et reportée aux champs que mon père habitait,
Quand j’étais blonde et frêle, et que l’on me portait !
Que de fois dans tes yeux j’ai reconnu ma mère !
Oui ! toute femme aimée a sa jeune chimère,
Sois en sûr ; elle prie, elle chante : et c’est toi
Qui gardais ces tableaux long-temps voilés pour moi.
Oui ! si quelque musique en mon ame cachée,
Frappe sur mon sommeil et m’inspire d’amour,
C’est pour ta douce image à ma vie attachée,
Caressante chaleur sur mon sort épanchée,
Comme sur un mur sombre un sourire du jour !