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LES PLEURS.

Mais par un mot changé troubles-tu ma tendresse,
Oh ! de quel paradis tu fais tomber mon cœur !
D’une larme versée au fond de mon ivresse,
Si tu savais le poids, ému de ta rigueur,
Penché sur mon regard qui tremble et qui t’adore,
Comme on baise les pleurs dont l’enfant nous implore,
À ton plus faible enfant, tu viendrais, et tout bas :
« J’ai voulu t’éprouver, grâce ! ne pleure pas ! »

Parle-moi doucement ! sans voix, parle à mon âme ;
Le souffle appelle un souffle, et la flamme une flamme.
Entre deux cœurs charmés il faut peu de discours,
Comme à deux filets d’eau peu de bruit dans leur cours.
Ils vont ! aux vents d’été parfument leur voyage :
Altérés l’un de l’autre et contens de frémir,
Ce n’est que de bonheur qu’on les entend gémir.
Quand l’hiver les cimente et fixe leur image,
Ils dorment suspendus sous le même pouvoir,
Et si bien emmêlés qu’ils ne font qu’un miroir.

On a si peu de temps à s’aimer sur la terre !
Oh ! qu’il faut se hâter de dépenser son cœur !
Grondé par le remords, prends garde ! il est grondeur,
L’un des deux, mon amour, pleurera solitaire.
Parle-moi doucement ! afin que dans la mort
Tu scelles nos adieux d’un baiser sans remord,