Page:Desbordes-Valmore - Les Pleurs, 1834.djvu/21

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
11
LES PLEURS.

Et qu’en entrant aux cieux, toi calme, moi légère,
Nous soyons reconnus pour amans de la terre.
Que si l’ombre d’un mot t’accusait devant moi,
À Dieu, sans le tromper, je réponde pour toi :
« Il m’a beaucoup aimée ! il a bu de mes larmes ;
» Son ame a regardé dans toutes mes douleurs ;
» Il a dit qu’avec moi l’exil aurait des charmes,
» La prison du soleil, la vieillesse des fleurs ! »

Et Dieu nous unira d’éternité ; prends garde !
Fais-moi belle de joie ! et quand je te regarde,
Regarde-moi ; jamais ne rencontre ma main,
Sans la presser : cruel ! on peut mourir demain,
Songe donc ! Crains surtout qu’en moi-même enfermée,
Ne me souvenant plus que je fus trop aimée,
Je ne dise, pauvre ame, oublieuse des cieux,
Pleurant sous mes deux mains et me cachant les yeux :
« Dans tous mes souvenirs je sens couler mes larmes ;
Tout ce qui fit ma joie enfermait mes douleurs :
Mes jeunes amitiés sont empreintes des charmes
Et des parfums mourans qui survivent aux fleurs. »

Je dis cela, jalouse ; et je sens ma pensée
Sortir en cris plaintifs de mon ame oppressée.
Quand tu ne réponds pas, j’ai honte à tant d’amour,
Je gronde mes sanglots, je m’évite à mon tour,