Et qu’en entrant aux cieux, toi calme, moi légère,
Nous soyons reconnus pour amans de la terre.
Que si l’ombre d’un mot t’accusait devant moi,
À Dieu, sans le tromper, je réponde pour toi :
« Il m’a beaucoup aimée ! il a bu de mes larmes ;
» Son ame a regardé dans toutes mes douleurs ;
» Il a dit qu’avec moi l’exil aurait des charmes,
» La prison du soleil, la vieillesse des fleurs ! »
Et Dieu nous unira d’éternité ; prends garde !
Fais-moi belle de joie ! et quand je te regarde,
Regarde-moi ; jamais ne rencontre ma main,
Sans la presser : cruel ! on peut mourir demain,
Songe donc ! Crains surtout qu’en moi-même enfermée,
Ne me souvenant plus que je fus trop aimée,
Je ne dise, pauvre ame, oublieuse des cieux,
Pleurant sous mes deux mains et me cachant les yeux :
« Dans tous mes souvenirs je sens couler mes larmes ;
Tout ce qui fit ma joie enfermait mes douleurs :
Mes jeunes amitiés sont empreintes des charmes
Et des parfums mourans qui survivent aux fleurs. »
Je dis cela, jalouse ; et je sens ma pensée
Sortir en cris plaintifs de mon ame oppressée.
Quand tu ne réponds pas, j’ai honte à tant d’amour,
Je gronde mes sanglots, je m’évite à mon tour,
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LES PLEURS.