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LES PLEURS.

Je me regarde vivre, ombre silencieuse ;
Mes jours purs, sous tes traits, repassent devant moi !

Car toujours ramenés vers nos jeunes annales,
Nous retrempons nos yeux dans leurs fraîches couleurs ;
Midi n’a plus le goût des heures matinales
Où l’on a respiré tant de sauvages fleurs !
Le champ, le plus beau champ que renfermât la terre,
Furent les blés bordant la maison de mon père,
Où je dansais, volage, en poursuivant du cœur
Un rêve qui criait : « Bonheur ! bonheur ! bonheur ! »

C’est toi ! mes yeux blessés par le temps et les larmes,
Redevenus miroirs, se rallument d’amour !
N’es-tu pas tout ce monde infini, plein de charmes,
Que j’encerclais d’espoir, en essayant le jour ?

Viens donc, ma vie enfant ! et si tu la prolonges,
Ondine ! aux mêmes flots ne l’abandonne pas.
Que les ruisseaux, les bois, les fleurs où tu te plonges,
Gardent leur fraîche amorce au penchant de tes pas ;
Viens ! mon âme sur toi pleure et se désaltère.
Ma fille, ils m’ont fait mal… ! Mets tes mains sur mes yeux.
Montre-moi l’espérance et cache-moi la terre ;
Ange ! retiens mon vol, ou suis-moi dans les cieux.