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ii

de sapins et de mélèzes, et dont les cheminées seules dépassant la cime des arbres se découpent sur le fond rougeâtre du ciel ; vous ne l’avez pas remarqué, car ce n’était point là que tendait votre course, et, fatigué que vous étiez d’un paysage monotone, brisé par le trot court et saccadé de votre petit cheval de montagnes, menacé peut-être par un orage qui s’amoncelait, vous n’aviez qu’un désir, celui d’arriver vite où vous attendait le repos. Bientôt alors vous êtes tombé dans cette disposition où l’esprit, fixé sur une seule pensée, ne permet aux yeux de s’arrêter que sur un seul objet : vous voyiez se dérouler devant vous la route étroite, tortueuse et sans fin, qui semblait se prolonger à plaisir ; vos regards se fatiguaient à percer cet horizon où vous la suiviez s’amincissant toujours, et peu à peu toute la partie animiste de votre organisation, tout ce qui pensait enfin en vous, cédant à la fatigue, s’engourdissait vaincu par la partie matérielle. Vous n’aviez plus une pensée distincte de vos autres pensées ; vos yeux continuaient de voir, mais ne distinguaient plus ; vous n’auriez pu dire si le mouvement de votre monture était le trot d’un cheval ou le balancement d’un bateau, et si ce sable dans lequel il enfonçait jusqu’aux genoux, et qu’il faisait voler à chaque pas en pous-