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LES PLEURS.


Le néant me plaît mieux ; son horreur me soulage :
Jamais je ne t’ai vu sans t’aimer davantage ;
Et jamais, plus rêveuse en te quittant le soir,
Sans pâlir dans l’effroi de ne te plus revoir !

C’est que Dieu pour nos jours n’alluma point deux flammes ;
C’est qu’un même baiser fit éclore deux âmes ;
Que partout où je passe en appelant ta main,
Le doux poids de tes pieds a creusé mon chemin.

Enfin, que ma pensée, orageuse ou calmée,
Se dévoile riante, ou s’enferme alarmée,
Comme on voit la cigale au front tremblant des blés,
Craintive, au moindre bruit tarir ses chants troublés,
Toujours teinte de ton image,
C’est l’eau sous le soleil, quand j’y sens ton amour ;
Et si pour d’autres yeux tes yeux ont un langage,
C’est l’eau, miroir éteint d’où s’efface le jour.

Toi ! me hais-tu, dis vrai ! t’ai-je offensé, mon âme ?
Dis : quelque mot amer dans un pli de ton cœur,
Parle-t-il contre moi, ta sœur, ta faible femme ?
Oh ! parle : as-tu jamais compris une autre sœur ?