Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, I.djvu/191

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meſme langue, qu’il entreprendra d’en tirer le ſens. Ce qui em|peſche que tout le monde ne le pourroit pas faire, c’eſt la difficulté de la grammaire ; et ie deuine que c’eſt tout le ſecret de voſtre homme. Mais ce 5 n’est rien qui ne ſoit tres-aiſé ; car faiſant vne langue, où il n’y ait qu’vne façon de conjuguer, de decliner, & de conſtruire les mots, qu’il n’y en ait point de defectifs ny d’irreguliers, qui ſont toutes choſes venuës de la corruption de l’vſage, & meſme que l’inflexion 10 des noms ou des verbes & la conſtruction ſe faſſent par affixes, ou deuant ou apres les mots primitifs, leſquelles affixes ſoient toutes ſpecifiées dans le dictionnaire, ce ne ſera pas merueille que les eſprits vulgaires apprennent en moins de ſix heures à compoſer en 15 cette langue avec l’aide du dictionnaire, qui eſt le ſujet de la premiere propoſition.

Pour la ſeconde, à ſçauoir : cognitâ hac linguâ cæteras omnes, vt eius dialectos, cognoſcere, ce n’eſt que pour faire valoir la drogue ; car il ne met point en 20 combien de temps on les pourroit connoiſtre, mais ſeulement qu’on les conſidereroit comme des dialectes de celle-cy ; c’eſt à dire que n’y ayant point en celle-cy d’irregularitez de grammaire comme aux autres, il la prend pour leur primitiue. Et de plus il eſt à noter 25 qu’il peut en son dictionnaire, pour les mots primitifs, ſe ſeruir de ceux qui ſont en vſage en toutes les langues, comme de ſynonimes. Comme par exemple, pour ſignifier l’amour, il prendra aymer, amare, φιλεῖν, etc. Et vn François en ajoutant l’affixe, qui marque le 30 nom ſubſtantif, à aymer, fera l’amour ; vn Grec ajoutera le meſme à φιλεῖν, & ainſi des autres.