Aller au contenu

Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, IV.djvu/502

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou alliez, & les ennemis. Car, au regard de ces derniers, on a quaſi permiſſion de tout ſaire, pouruû qu’on en tire quelque auantage pour ſoy ou pour ſes ſuiets ; & ie ne deſaprouue pas, en cette occaſion, qu’on acouple le renard auec le lion, & qu’on ioigne l’artifice à la ſfrce *. Meſme ie comprens, ſous le nom d’ennemis, tous ceux qui ne ſont point amis ou alliez, pource qu’on a droit de leur faire la guerre, quand on y trouue ſon auantage, & que, commençans à deuenir ſuſpects & redoutables, on a lieu de s’en défier. Mais i’excepte vne espece de tromperie, qui eſt ſi directement contraire à la ſocieté, que ie ne croy pas qu’il ſoit iamais permis de s’en ſeruir, bien que noſtre Auteur l’aprouue en diuers endroits, & qu’elle ne ſoit que trop en pratique : c’eſt de feindre d’eſtre amy de ceux qu’on veut perdre, afin de les pouuoir mieux ſurprendre. L’amitié eſt vne choſe trop ſainte pour en abuſer de la ſorte ; & celuy qui aura pû feindre d’aimer quelqu’vn, pour le trahir, merite que ceux qu’il voudra par aprés aimer veritablement, n’en croyent rien & le haïſſent.

Pour ce qui regarde les alliez, vn Prince leur doit tenir exactement ſa parole, meſme lors que cela luy eſt preiudiciable ; car il ne le ſçauroit eſtre tant, que la reputation de ne manquer point à faire ce qu’il a promis, luy eſt vtile, & il ne peut acquerir cette reputation que par de telles occaſions, où il y va pour luy de quelque perte ; mais en celles qui le ruineroient tout à fait, le droit des gens le diſpenſe de ſa promeſſe. Il doit auſſi vſer de beaucoup de circonſpection, auant que de promettre, afin de pouuoir touſiours garder ſa