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5ï-52. Méditations. — Troisième. 41

aux organes extérieurs de mes fens. Elle n'eft pas aufTi vne pure produélion ou fidion de mon efprit; car il n'eft pas en mon pou- uoir d'y diminuer ny d'y adioufter aucune chofe. Et par confequent il ne refte plus autre chofe à dire, finon que, comme l'idée de moy- [mefme, elle eft née & produite auec moy dés lors que i'ay efté créé. 58

Et certes on ne doit pas trouuer eftrange que Dieu, en me créantj ait mis en moy cette idée pour eftre comme la marque de l'ouurier emprainte fur fon ouurage; & il n'eft pas aufli neceffaire que cette marque foit quelque chofe de différent de ce mefme ouurage. Mais de cela feul que Dieu m'a créé, il eft fort croyable qu'il m'a en quelque façon produit à fon image & femblance, & que ie conçoy cette reffemblance (dans laquelle l'idée de Dieu fe trouue contenue) par la mefme faculté par laquelle ie me conçoy moy-mefme; c'eft à dire que, lorfque ie fais reflexion fur moy, non feulement ie connois que ie fuis vne chofe imparfaite, incomplète, & dépendante d'autruy, qui tend & qui afpire fans ceffe à quelque chofe de meilleur & de plus grand que ie ne fuis, mais ie connois aufli, en mefme temps, que celuy duquel ie dépens, poffede en foy toutes ces grandes chofes aufquelles i'afpire, & dont ie trouue en moy les idées, non pas indéfiniment & feulement en puiffance, mais qu'il en iouit en effed, aduellement & infiniment, & ainfi qu'il eft Dieu. Et toute la force de l'argument dont i'ay icy vfé pour prouuer l'exiftence de Dieu, confiile en ce que ie reconnois qu'il ne feroit pas poffible | que ma nature fuft telle qu'elle eft, c'eft à dire que i'euffe en moy l'idée d'vn Dieu, fi Dieu n'exiftoit vérita- blement; ce mefme Dieu, dif-je, duquel l'idée eft en moy, c'eft à dire qui pofTede toutes ces | hautes perfeftions, dont noftre efprit 59 peut bien auoir quelque idée fans pourtant les comprendre toutes, qui n'eft fujet à aucuns deffauts, & qui n'a rien de toutes les chofes qui marquent quelque imperfeélion.

D'où il eft affez euident qu'il ne peut eftre trompeur, puifque la lumière naturelle nous enfeigne que la tromperie dépend neceffai- 'rement de quelque deffaut.

Mais, auparauant que i'examine cela plus foigneufement, & que ie pafl"e à la conftderation des autres veritez que l'on en peut re- cueillir, il me iemble très à propos de m'arrefter quelque temps à la contemplation de ce Dieu tout parfait, de pefer tout à loifir fes merueilleux attributs, de confiderer, d'admirer & d'adorer l'incom- parable beauté de cette immenfe lumière, au moins autant que la force de mon efprit, qui en demeure en quelque forte éblouy, me le poura permettre.

Œuvres. IV. 6

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