Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, V.djvu/498

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484 Correspondance.

u theque en sa présence. Ne sçait-on pas aussi qu'elle luy vouloit faire » préparer, pour sa sépulture, vn lieu des plus honorables du pais, si » Monsieur Chanut, pour lors Ambassadeur en Suéde, n'eust préféré le » Cimetière destiné pour les enfans, comme vn lieu plus conuenable à » l'innocence de sa vie et à l'incorruptibilité de sa foy ? Et ne verroit-on » pas aujourd'huy les pierres de son tombeau changées en marbre, sans » le changement qui est arriué depuis à l'état de cette Reine ? Mais après » tout, quand il seroit vray que sa doctrine n'auroit pas esté bien receuë » à la Cour de Suéde, quel argument pem-on tirer de là pour la decre- » diter maintenant, et quel des-honneuj en reuient-il à Monsieur Des- » cartes? Il est vray que, pendant que nous viuons parmy les hommes, » nous auons besoin d'estime iusques à vn certain point, comme d'argent, » pour nous garentir des injures, et pour plusieurs autres vsagcs; après » nostre mort, cette pièce est inutile, et si les écrits et la doctrine se def- » fendent par la probité et par le nom de leur écriuain, ou par l'autorité » des hommes seulement, et non par leur propre valeur, ils ne méritent » pas d'aller fort loin vers la postérité. Ceux de Monsieur Dc^cartes n'ont » plus d'attache à sa vie, ils se soustiennent assez d'eux-mesmes sans » auoir besoin d'vn appuy étranger; et l'on peut croire que, si l'enuie » empesche aujourd'huy qu'ils ne trouuent des approbateurs, ils n'en » manqueront pas dans les siècles suiuans. Pour ceux qui attribuent sa )) mort au déplaisir qu'il auoit d'estre mal écouté de cette Princesse, ils » témoignent sçauoir fort mal sur quelles maximes il conduisoit sa vie; et » quoy qu'il tinst à très-grand honneur celuy qu'il receuoit d'estre admis » à instruire vne si grande Reine, si est-ce neantmoins que ce n'estoit » point sur cela qu'il fondoit ny son estime ny son bon-heur. La seule » volonté de bien faire luy estoit le plus précieux de tous les biens, et le » contentement qu'il en receuoit faisoit tout le bon-heur de sa vie; si bien » qu'il eust crû faire vne chose indigne d'vn homme généreux, que de » laisser prendre sur soy tant de pouuoir à l'estime qui ne dépend que de K> l'opinion d'autruy, que d'altérer sa santé en troublant la tranquilité de » son ame. La vérité estoit le but de ses desseins, la vertu la règle de ses » actions, et le contentement qu'il receuoit de la recherche de l'vne et de » la pratique de l'autre, étabiissoit son repos et sa félicité. Cela excepté, il » ne regardoit plus les choses qui se passent dans le monde, que comme » des actions qui se représentent sur vn théâtre, qui ne laissoient pas. à la ï vérité, de toucher quelquefois son cœur, et d'exciter en luy diuerses » passions, selon la diuersité des rencontres, et l'interest qu'il y prenoit » par affection ; mais elles n'alloient iamais iusqu'à l'intérieur de son ame, » laquelle jouïssoit cependant de la satisfaction de voir que tantost il com- » patissoit auec des affligez, tantost il méprisoit les injures des médisans, » tantost il consideroit la vanité des soins qui trauaillent les ambitieux, » et que, taschant ainsi en toutes rencontres de s'acquitter de son deuoir, « en faisant ce qu'il iugeoit estre le meilleur, il se fortifioit tous les iours » de plus en plus dans la pratique du bien, et augmentoit sa perfection. »

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