Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, X.djvu/192

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vent, qui avoit penſé le renverſer pluſieurs fois, eût beaucoup diminué. Il ſe réveilla ſur cette imagination, & il ſentit à l’heure même une douleur effective, qui lui fit craindre que ce ne fût l’opération de quelque mauvais génie qui l’auroit voulu ſéduire. Auſſi-tôt il ſe retourna ſur le côté droit ; car c’étoit ſur le gauche qu’il s’étoit endormi, & qu’il avoit eu le ſonge. Il fit une priére à Dieu pour demander d’être garanti du mauvais effet de ſon ſonge, & d’être préſervé de tous les malheurs qui pourroient le menacer en punition de ſes péchez, qu’il reconnoiſſoit pouvoir être aſſez griefs pour attirer les foudres du ciel ſur ſa tête : quoiqu’il eût mené juſques-là une vie aſſez irréprochable aux yeux des hommes. »

« Dans cette ſituation. il ſe rendormit, après un intervalle de prés de deux heures dans des penſées diverſes ſur les biens & les maux de ce monde. Il lui vint auſſitôt un nouveau ſonge, dans lequel il crût entendre un bruit aigu & éclatant, qu’il prit pour un coup de tonnére. La frayeur qu’il en eut, le réveilla fur l’heure même ; et ayant ouvert les yeux, il apperçût beaucoup d’étincelles de feu répanduës par la chambre. La choſe lui étoit déjà ſouvent arrivée en d’autres têms ; & il ne lui étoit pas fort extraordinaire, en ſe réveillant au milieu de la nuit, d’avoir les yeux aſſez étincellans, pour lui faire entrevoir les objets les plus proches de lui. Mais, en cette dernière occaſion, il voulut recourir à des raiſons priſes de la Philoſophie ; & il en tira des concluſions favorables pour ſon eſprit, après avoir obſervé, en ouvrant puis en fermant les yeux alternativement, la qualité des eſpéces qui lui étoient repréſentées. Ainſi ſa frayeur ſe diſſipa, & il ſe rendormit dans un aſſez grand calme. »

« Un moment aprés, il eut un troiſiéme ſonge, qui n’eut rien de terrible comme les deux premiers. Dans ce dernier, il trouva un livre ſur ſa table, ſans ſçavoir qui l’y avoit mis. Il l’ouvrit, & voyant que c’étoit un Dictionnaire, il en fut ravi, dans l’eſpérance qu’il pourroit lui être fort utile. Dans le même inſtant, il ſe rencontra un autre livre ſous ſa main, qui ne lui | étoit pas moins nouveau, ne ſçachant d’où il lui étoit venu. Il trouva que c’étoit un recueil des Poëſies de différens Auteurs, intitulé Corpus Poëtarum &c. » (en marge : Diviſé en 5 livres, imprimé à Lion & à Genéve &c.)[1].

  1. Cet ouvrage eut, en effet, deux éditions antérieures à l’année 1619 où nous sommes : l’une en 1603, l’autre en 1611. Voici le titre complet : Corpus | omnium veterium | poetarum latinorum | ſecundum ſeriem temporum, | & quinque libris | diſtinctum, | in quo | continentur omnia | ipſo-