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EXPERIMENTA

« … Etant ſur le point de partir (de Danemark) pour ſe rendre en Hollande avant la fin de Novembre de la même année (1621), il ſe défit de ſes chevaux & d’une bonne partie de ſon équipage, & il ne retint qu’un valet avec luy. Il s’embarqua ſur l’Elbe, ſoit que ce fût à Hambourg, ſoit que ce fût à Gluckſtadt, ſur un vaiſſeau qui devoit luy laiſſer prendre terre dans la Friſe orientale, parce que ſon deſſein étoit de viſiter les côtes de la mer d’Allemagne à ſon loiſir. Il ſe remit ſur mer peu de jours après, avec réſolution de débarquer en Weſt-Friſe, dont il étoit curieux de voir auſſi quelques endroits. Pour le faire avec plus de liberté, il retint un petit bateau à luy ſeul, d’autant plus volontiers que le trajet étoit court depuis Embden juſqu’au premier abord de Weſt-Friſe. Mais cette diſpoſition, qu’il n’avoit priſe que pour mieux pourvoir à ſa commodité, penſa luy être fatale. Il avoit affaire à des mariniers qui étoient des plus ruſtiques & des plus barbares qu’on pût trouver parmi les gens de cette profeſſion. Il ne fut pas long-têms ſans reconnoître que c’étoient des ſcélérats ; mais aprés tout ils étoient les maîtres du bateau. M. Deſcartes (en marge : Cartes, fragm. cui titul. Experimenta. &c.) n’avoit point d’autre converſation que celle de ſon valet, avec lequel il parloit François. Les mariniers, qui le prenoient plûtôt pour un marchand forain que pour un cavalier, jugérent qu’il devoit avoir de l’argent. C’eſt ce qui leur fit prendre des réſolutions qui n’étoient nullement favorables à ſa bourſe. Mais il y a cette différence entre les voleurs de mer & ceux des bois, que ceux-ci peuvent en aſſurance laiſſer la vie à ceux qu’ils volent, & ſe ſauver ſans être reconnus ; au lieu que ceux-là ne peuvent mettre à bord une perſonne qu’ils auront volée, ſans s’expoſer au danger d’être dénoncez par la