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Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XII.djvu/171

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les ténèbres s’amoncellent, et soudain jaillit la plus éclatante lumière.

Notons ce trait caractéristique de notre race, que Descartes représente si hautement. Il affirme son existence, mais comment ? Par la pensée. Il existe parce qu’il pense, et non parce qu’il a un corps, et qu’il se meut, et qu’il agit extérieurement. La fonction propre de la France, et sa tâche dans le monde, n’est-elle pas la pensée ? Notons cet autre trait, caractéristique encore : la croyance que l’homme est libre, et l’usage qu’il fait de cette liberté. Là-dessus Descartes ne craint pas d’outrer sa doctrine : il revendique la liberté pour l’homme comme un privilège et presque un attribut divin, comme sa principale ressemblance avec Dieu[1]. Le sentiment intérieur que nous en avons, suffît à le prouver ; c’est même la seule preuve que Descartes en donne. Ne soyez pas libre, si bon vous semble, dira-t-il plus tard assez cavalièrement a Gassend : ce n’est pas cela qui m’empêchera de me croire libre et de l’être, ainsi que tous ceux qui voudront bien comme moi en faire l’expérience[2]. C’est parce qu’il est libre, qu’il a pu douter comme il a fait, et qu’il pourra toujours suspendre son jugement, et se préserver ainsi de l’erreur. La liberté humaine, s’opposant à un Dieu qu’on imagine trompeur, et refusant de se laisser tromper par lui, l’emporte sur ce Dieu lui-même ; la résistance à l’erreur, quand on le veut bien, est invincible.

Que faire maintenant de cette vérité unique : l’existence de notre pensée ? Qu’est-ce que cette pensée, et peut-elle avoir confiance en elle-même ? Elle est certaine de sa propre existence, et aussi que des idées existent en elle. Mais quelle est la valeur de ces idées, même claires et distinctes ? La supposition d’un malin génie, auteur de notre être, subsiste toujours : il ne peut pas nous empêcher d’être certains de notre

  1. Tome VII, p. 57, l. 11-27.
  2. Ibid., p. 377, l. 22-28.