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Princesse Elisabeth. 419

ment, mais le roi n'en sera pas cause, dit Descartes : ils se battront librement. Au fond, leur action sera quand même toute spontanée, et le sentiment qu'ils auront de cette sponta- néité, suffira pour qu'elle soit réelle, comme suffisait tout à l'heure le sentiment de la liberté. De même pour la vie présente, comparée à la vie future. Théoriquement, notre vie semble n'être qu'un néant par rapport à la vie éternelle, et on se demande si elle vaut la peine d'être vécue. Pourtant, en fait, nous éprouvons qu'elle est bonne, et que la somme des biens l'emporte sur celle des maux en ce monde ^. Elisa- beth proteste d'abord : toutefois elle continue de vivre, elle tient donc à la vie, laquelle en effet a sa valeur. Descartes, semble-t-il, a pris avec elle le bon parti : le mysticisme ne se combat point par la logique, ni à coups d'arguments, mais par un simple rappel à la réalité.

Quant aux deux autres vérités, fondements physiques de la morale, selon Descartes, Elisabeth hésite à les accepter, non pas comme vérités, certes, mais comme de tels fondements. La morale a reposé si longtemps sur des bases religieuses, que l'on ne saurait les lui ôter sans appréhension : d'autres seront- elles aussi solides ? Mais Elisabeth a l'esprit trop philosophique et trop scientifique à la fois, pour ne pas s'incliner devant l'étendue infinie de l'univers : elle se demande seulement ce qu'il advient alors de la providence particulière de Dieu  ; ou plutôt, dit-elle, ce sont les théologiens qui se demandent cela, et elle ne prend pas l'objection à son compte. Descartes en profite pour dire qu'il n'a pas à répondre aux théologiens ; et puis. Dieu n'est-il pas l'Etre parfait, à qui rien n'est impossible?

La dernière question est plus délicate, et c'est aussi la plus intéressante, celle à laquelle les trois vérités précédentes nous acheminaient : dans quelle mesure, et jusqu'à quel point, chacun est-il tenu de se sacrifier à sa famille, à son prince ou à son pays, à tous ses semblables ? La morale religieuse présen-

a. Tome IV, p. 3i5, 1. 7-10 ; p. 323, 1. 7-21, et p. 333, 1. 8-20.

b. Ibid.. p. 323-324, et p. 333-334.

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