Page:Desnoiresterres - La jeunesse de Voltaire.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
RETOUR À PARIS.

Son exil durait encore à la fin de 1716. Dans une lettre écrite de Sulli, sans quantième, mais portant l’année 1717, il raconte les délices de cette vie de château avec des gens d’esprit, de belles et charmantes dames, des chasseurs intrépides, dont il grossit le nombre sans charger sa conscience de trop de massacres. Encore une fois, ce qui gâte cette existence joyeuse, c’est la peur qu’elle se prolonge. Après avoir fait le tableau le plus séduisant, il se ravise ; il s’effraye d’en avoir trop dit et craint qu’on ne prenne tout cela trop à la lettre. « N’allez pas, s’il vous plaît, publier ce bonheur dont je vous fais confidence, car on pourrait bien me laisser ici assez de temps pour y pouvoir devenir malheureux ; je connais ma portée, je ne suis pas fait pour habiter longtemps le même lieu[1]. » Au surplus, ce séjour forcé à Sulli ne dut point dépasser de beaucoup les premiers jours de la nouvelle année. Le Régent se laissa présenter le poëte, et pardonna sans paraître fort persuadé de son innocence. Arouet, édifié sur l’humeur du prince, ne trouva rien de mieux pour effacer le fâcheux effet des deux couplets dont ce dernier et sa fille étaient l’objet, que l’envoi d’un couplet non moins licencieux que nous ne nous hasarderons pas à reproduire, et qui démontre bien, sans en dire plus, que le duc d’Orléans était homme à s’amuser de tout, à tout permettre et à tout entendre[2].

  1. Voltaire, Œuvres complètes (Beuchot), t, LI, p. 50. Lettre de Voltaire à M…, 1716.
  2. Ibid., t. XIV, p. 318. Poésies mêlées. Au Régent. 1716.