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AROUET LIBRE PENSEUR.

accueillant avec la défiance qu’elles méritent. Jusqu’ici toutes les vies de Voltaire ont été des thèses de parti, tantôt pour, tantôt contre lui, où la vérité est le plus souvent sacrifiée à la passion, au besoin de le produire sous un tel ou tel jour. Il serait assez stérile de grossir le groupe trop formidable de ces romans peu sûrs ; disons aussi que la vérité n’est pas toujours aisée à démêler du faux. C’est pourtant ce que nous devrons tenter, sauf à soumettre nos doutes en absence de toute preuve décisive. Ces deux manifestations d’une précoce impiété, racontées plus haut, pourraient donc bien avoir été inventées après coup ; mais elles ne sont pas les seules. Ainsi, le père Lejay, à la suite de nous ne savons quelle repartie malsonnante d’Arouet, descendait de chaire et lui sautait au collet, en criant d’une voix terrible : « Malheureux ! tu seras un jour l’étendard du déisme en France[1] ! » Si le Pan était le seul à raconter ce fait, on pourrait le révoquer en doute ; mais Duvernet et Condorcet le rapportent bien avant le Pan, et le dernier ajoute même, avec une complaisance marquée, que « l’événement a justifié la prophétie. » En tout cas, le mot du père Lejay était bien solennel, adressé à un bambin qu’il eût mieux valu traiter avec moins d’importance. Il y avait dans l’apostrophe, quelque sévère qu’elle voulût être, un côté flatteur pour cet orgueil précoce que le rôle de Satan ne devait pas épouvanter et auquel, en quelque sorte, on montrait le chemin. Le mot de son confesseur, le père Pallou : « Cet enfant est dévoré de la soif de la célé-

  1. Voltaire, Œuvres complètes (Beuchot), t. I, p. 121. — Duvernet, la Vie de Voltaire (Genève, 1786), p. 15.