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JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU.

représentations, je remarquai qu’on appela deux fois le même écolier. Je demandai au père Tarteron, qui faisoit les honneurs de la chambre où nous étions, qui étoit ce jeune homme si distingué parmi ses camarades ? Il me dit que c’étoit un petit garçon qui avoit des dispositions surprenantes pour la poésie, et me proposa de me l’amener, à quoi je consentis. Il me l’alia chercher, et je le vis revenir, un moment après, avec un jeune écolier qui me parut avoir seize ou dix-sept ans, d’une mauvaise physionomie, mais d’un regard vif et éveillé ; et qui vint m’embrasser de fort bonne grâce[1]

Tout cela est et doit être vrai, et il n’y aurait rien à dire à ce petit tableau sans ce trait où percent la malveillance et l’inimitié : « d’assez mauvaise physionomie.  » Mais Rousseau, à cette date, n’était pas payé pour flatter l’original, avec lequel il était en pleine guerre. Voltaire, qui n’était pas homme à rien laisser tomber à terre, dans une diatribe où, selon ses habitudes, il dépassait la mesure de la juste et honnête défense, ripostait aigrement : « Je ne sais pas pourquoi il dit que ma physionomie lui déplaît, c’est apparemment parce que j’ai des cheveux bruns et que je n’ai pas la bouche de travers[2]. » L’auteur de la Hen-

  1. Élie Harel, Voltaire, Particularités curieuses de sa vie et de sa mort (Paris, 1817), p. 41, 42. Lettre de M. Rousseau, au sujet des calomnie ; répandues contre lui par le sieur Arouet de Voltaire.
  2. Voltaire, Œuvres complètes (Beuchot), t. LII, p. 287. Aux auteurs de la Bibliothèque française (extrait du t. XXIV, p. 152 et suiv.). À Cirey, ce 20 septembre 1736. — Gacon, lui aussi, parle à tout instant des jeux louches, des cheveux roux, du teint livide et de la bouche de travers de Rousseau. « L’épithète de torse que je donne à la bouche de notre rimeur, n’est point un de ces ornements dont la poésie se sert par le droit de la métaphore : elle est fondée sur la réalité… » L’Anti-Rousseau (Paris, 1716), par le Poëte-sans-fard, p. 88, 176, 292, 294.