Page:Desnoiresterres - La jeunesse de Voltaire.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
42
AROUET ÉCOLIER EN DROIT.

dont on y enseignait la jurisprudence (dans les écoles), que cela seul le tourna entièrement du côté des belles-lettres. » Il faisait acte de présence, mais son esprit était ailleurs. Sans être un homme, ce n’était plus un enfant ; à l’accueil qu’on lui faisait, il jugea vite de sa valeur, et cette conviction lui donna dès lors un aplomb que l’âge ne devait naturellement que faire croître : les plus grands seigneurs ne lui imposèrent guère, et les princes pas davantage. On verra sur quel pied il était avec eux, et avec quel sans-gêne escorté toujours d’un tact qui corrigeait l’audace, il leur parlait. Bientôt il ne bougea plus de chez Chaulieu, la Fare, l’abbé Courtin, l’abbé Servien, M. de Sulli. Ce n’est pas sans motifs que nous omettons le nom du grand prieur. Duvernet, Condorcet et les autres comptent, à cette heure, le chevalier de Vendôme parmi les protecteurs d’Arouet. Au moins y a-t-il anachronisme. Le grand prieur, forcé de s’exiler (mars 1706), à la suite de l’affaire de Cassano[1], ne devait plus reparaître à son grand prieuré qu’en 1715, et ce ne put être qu’à son retour, amené par la mort de Louis XIV, que Voltaire lui fit sa cour et sut conquérir les bonnes grâces de « l’altesse chansonnière. »

Si de pareilles relations avaient de quoi flatter l’amour-propre de M. Arouet, son bon sens et sa prudence avaient tout autant lieu de s’alarmer de ces amitiés illustres. Comment, en effet, cet enfant si naturellement vain, n’eût-il pas perdu terre ? Comment exiger de lui, au sortir des hôtels de Boisboudrand et

  1. Gustave Desnoiresterres, les Cours galantes, t. IV, p. 6 et suiv.