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LETTRE D’OLYMPE.

neuf ans, et y veulent trouver plus de rhétorique que de véritable passion. Ce qu’on ne saurait refuser au jeune Arouet sans injustice, c’est d’être sincère. Il croit aimer de toutes ses forces, et il aime de toutes ses forces en effet : ce n’est pas sa faute s’il n’a pas le tempérament d’un Mirabeau. Les lettres de mademoiselle Dunoyer avaient une toute autre allure, à en juger par la seule qui nous soit parvenue, la dernière qu’Arouet devait recevoir à la Haye. Sa mère le croyait éloigné ; Pimpette, mieux informée, veut profiter de sa sécurité, pour aller embrasser son amant une fois encore.

Dans l’incertitude où je suis, si j’aurai le plaisir de te voir ce soir, je t’avertis que ce n’était pas M. de La Bruyère[1], qui était hier chez nous. C’est une méprise de la cordonnière, qui nous alarma fort mal à propos. Ma mère ne sait pas que je t’ai parlé ; et, grâce au ciel, elle te croit déjà parti. Je ne te parlerai point de ma santé ; c’est ce qui me touche le moins, et je pense trop à toi, pour avoir le temps de penser à moi-même. Je t’assure, mon cher cœur, que si je doutais de ta tendresse, je me réjouirais de mon mal ; oui, mon cher enfant, la vie me serait trop à charge si je n’avais la douce espérance d’être aimée de ce que j’ai de plus cher au monde.

Fais ce que tu pourras pour que je te voie ce soir : tu n’auras qu’à descendre dans la cuisine du cordonnier, et je te réponds que tu n’as rien à craindre, car notre faiseuse de quintescence te croit déjà à moitié chemin de Paris. Ainsi, si tu le veux, j’aurai le plaisir de te voir ce soir ; et si cela ne se peut pas, permets-moi d’aller à la messe de l’hôtel. Je prierai M. La Bruyère de me montrer la chapelle : la curiosité est permise aux femmes ; et puis, sans faire semblant de rien, je lui demanderai si l’on n’a pas encore de tes nouvelles, et depuis quand tu es parti. Ne me refuse pas cette grâce, mon cher

  1. Secrétaire de l’ambassade de France.