Page:Desperiers - Cymbalum mundi, Delahays, 1858.djvu/100

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prendroyent ses trois filles en mariage, et mesmes qu'ilz feroient de trois nopces unes, sçavoir est, qu'ilz espouseroyent tous trois en un jour. Et pour ce faire, les trois freres s'appresterent en peu de temps, et partirent de leur maison pour venir en Anjou avec le pere des trois filles. Or, n'y avoit celuy des trois qui ne fust assez accort : car, combien qu'ilz fussent Bretons, toutesfois ils n'estoyent pas tonnans[1], et s'estoyent meslez de faire bons tours avec ces Bretes[2], qui sont d'assez bonne volonté, comme l'on dit, toutesfois hors de combat. Quand ilz furent en la maison du gentilhomme, ilz se prindrent à regarder la contenance chascun de sa chascune, et les trouverent toutes trois belles, dispostes[3], et esveillées ; et parmy cela, qui faisoyent bien les sages. Les mariages furent concludz, les apprestz se firent ; ilz achepterent leurs bancs[4] et leur selles de l'evesque. Quand la veille des nopces fut venue, le pere appella ses trois filles en une chambre à part, et leur va dire ainsi : « Venez ça ! Vous sçavez quelle faulte vous avez faicte toutes trois, et en quelle peine vous m'avez mis. Si j'eusse esté de la nature de ces peres rigoureux, je vous heusse desavouées pour filles, et jamais n'eussiez amendé[5] de mon bien. Mais j'ay mieulx aymé prendre peine une bonne fois pour raccoustrer les choses, que non pas vous mettre toutes trois en desespoir, et moy en perpetuel regret pour vostre follie. Je vous ay icy amené à chascune un mary : deliberez vous de leur faire bonne chere[6] ; ayez bon courage, vous n'en mourrez pas. S'ilz s'apperçoivent de quelque chose, à leur dam ! pourquoy y sont ilz venuz ? Il les falloit aller querir. Quand vous faisiez vos estatz, vous ne songiez pas en eulx, n'est il pas vray ? » Elles respondirent toutes trois, en soubzriant, que non. « Et bien doncq, dict le pere, vous ne leur avez point encores faict de faulte. Mais pour l'advenir ne me mettez plus en cest ennuy,

  1. C'est-à-dire qu'ils n'étaient pas Bretons bretonnants ou de la Basse-Bretagne.
  2. Jeu de mots, par allusion à la triple signification de bretes, qui se disait quelquefois des Bretonnes et qui s'entendait aussi des épées et des galantes ou bonnes lames.
  3. Vives et légères ; dispost, de dispositus.
  4. Jeu de mots imité de Rabelais, liv. III, ch. XXVI, où frère Jean dit à Panurge, en lui conseillant de se marier : « Dehuy au soir, fais-en crier les bancs et le chaslit. » Équivoque sur ban, proclamation de mariage, et banc, siège.
  5. Profité, hérité.
  6. Bon visage, bonne mine ; du bas latin cara et de l'italien ciera.