Page:Desperiers - Cymbalum mundi, Delahays, 1858.djvu/103

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NOUVELLE VI.

Du mary de Picardie qui retira sa femme de l’amour, par une remonstrance qui luy fit en la presence des parens d’elle[1].


Il y eut jadis un Roy de France[2], duquel le nom ne se sçait point au vray, quant à cest affaire dont nous voulons parler ; tant y ha qu’il estoit bon roy et digne de sa coronne. Il se rendoit fort communicatif à toutes personnes, et s’en trouvoit bien, car il apprenoit les nouvelles auprès de la verité, ce qu’on ne fait pas quand on n’escoute. Pour venir à nostre compte, ce bon Roy se pourmenoit par les contrées de son royaume, et mesmes quelquesfois alloit par ville en habit dissimulé pour mieux entendre la verité de toutes sortes d’affaires. Un jour, il voulut visiter son pays de Picardie en personne royalle, portant toutesfois sa privauté accoustumée. Estant à Soissons, il fit venir les plus apparens de la ville, et les fit seoir à sa table par signe de grande familiarité, les invitant et enhardissant à luy compter toutes nouvelles, les unes joyeuses, les autres serieuses, ainsi qu’il vint à propos[3]. Entre autres, il y en eut un qui se mit compter devant le Roy la nouvelle qui s’ensuit : « Sire, il est advenu, dit-il, depuis n’ha gueres, en une de voz villes de Picardie, qu’un personnage de robbe longue et de justice,

  1. Cette Nouvelle semble avoir été inspirée par la LXXIe des Cent Nouvelles nouvelles, intitulée le Cornard débonnaire, laquelle fut depuis imitée en italien par Ludov. Guicciardini, dans ses Hores di recreazione, et par Malespini, dans ses Ducento Novelle.
  2. C’est sans doute Louis XI, dont le portrait historique ressemble à celui que le conteur nous présente ici ; voy. la belle Histoire de France de M. Henri Martin, t. VI, p. 529 : « Il voulait tout voir, tout savoir, tout faire par lui-même. » Cependant le serment de Foi de gentilhonmme, que Des Periers lui a mis dans la bouche, est un anachronisme et une allusion à François Ier, qui avait adopté ce juron.
  3. Toutes ces particularités se rapportent bien à Louis XI. « La plus part du temps, rapporte Brantôme dans ses Dames galantes, mangeoit en pleine sale avec force gentilshommes de ses plus privez. Et celuy qui luy faisoit le meilleur et le plus lascif conte de dames de joye, il estoit le mieux venu et festoyé, et luy-mesme ne s’espargnoit à en faire, car il s’en enqueroit fort et en vouloit souvent sçavoir, et puis en faisoit part aux autres et publiquement. »