Page:Desperiers - Cymbalum mundi, Delahays, 1858.djvu/107

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NOUVELLE VII.

Du Normand allant à Romme qui fit provision de latin pour porter au Sainct Pere, et comme il s’en ayda.


Un Normand, voyant que les prestres avoyent le meilleur temps du monde, apres que sa femme fut morte, eut envie de se faire d’eglise. Mais il ne sçavoit lire ny escrire que bien peu. Toutesfois, ayant ouy dire que pour argent on fait tout, et s’estimant aussi habile homme que beaucoup de prestres de sa paroisse, s’adressa à l’un de ses familliers, auquel il se descouvrit, et luy demanda conseil comment[1] il se devoit gouverner en cest affaire. Lequel, apres plusieurs propos debatuz d’une part et d’autre, l’en reconforta, et luy dit que, s’il vouloit bien faire son cas, il falloit qu’il allast à Romme, et que à grand peine en auroit il la raison[2] de son evesque, qui estoit difficile en cas de faire prestres et de bailler les A quocunque[3]. Mais que le pape, qui estoit empesché à tant d’autres choses, ne prendroit garde à luy de si pres et le depescheroit[4] incontinent. Davantage, qu’en ce faisant il verroit le pais, et que quand il seroit retourné, ayant esté creé prestre de la main du pape, il n’y auroit celuy qui ne luy fist honneur, et qu’en moins de rien il seroit beneficié[5] et deviendroit un grand monsieur. Mon homme trouve ces propos fort à son gré ; mais il avoit tousjours ce scrupule sur sa conscience touchant le fait du latin, lequel il declara à son conseiller, luy disant : « Voire, mais quand je seray devant le pape, quel langage parleray je ? Il n’entend pas le normand, ny moy, le latin. Que feray je ? — Pour cela, dit l’autre, ne te fault pas demeurer : car, pour estre

  1. Variante des autres éditions : luy demandant comment.
  2. C’est-à-dire : en obtiendrait-il la permission.
  3. Terme de la formule de l’ordination.
  4. C’est-à-dire : le ferait prêtre, expédierait son affaire.
  5. Pourvu d’un bénéfice.