compagnon : dont il luy tenoit tousjours, tellement qu'il ne se pouvoit passer de feminin genre, et luy faschoit d'avoir perdu sa femme si tost, laquelle estoit encores de bonne emploitte[1]. Toutesfoys il prenoit patience, et trouvoit façon de se pourvoir le mieulx qu'il pouvoit, faisant œuvre de charité ; c'est à sçavoir : aymant la femme de son voisin comme la sienne propre. Tantost revisitant les proces de quelques femmes veufves, et aultres qui venoyent chez luy pour le solliciter. Brief, il en prenoit là où il en trouvoit et frappoit soubz luy comme un casseur d'acier[2]. Mais quand il eut faict ce train par une espace de temps, il le trouva un petit fascheux : car il ne pouvoit bonnement prendre la peine d'agueter[3] ses commoditez, comme font les jeunes gens : il ne pouvoit pas entrer chez ses voisins sans suspicion, veu qu'il ne l'avoit pas accoustumé. D'avantage, il luy coustoit à fournir à l'appointement. Parquoy il se delibera d'en trouver une pour son ordinaire. Et luy souvint qu'à Arqueil, où il avoit quelques vignes, il avoit veu une jeune garse de l'age de seze à dixsept ans, nommée Gillette, qui estoit fille d'une povre femme gaignant sa vie à filler de la laine. Mais ceste garse estoit encores toute simple et niaise, combien qu'elle fust assez belle de visage. Si se pensa le procureur, que ce seroit bien son cas, ayant ouy aultrefoys un proverbe qui dit : Sage amy et sotte amie. Car, d'une amie trop fine, vous n'en avez jamais bon compte ; elle vous joue tousjours quelque tour de son mestier ; elle vous tire à tous les coups quelque argent de soubz l'aisle[4] ; ou elle veut estre trop brave, ou elle vous faict porter les cornes, ou tout ensemble. Pour faire court, mon procureur, un beau temps de vendanges, alla luy mesmes à Arqueil[5][6], et demanda ceste jeune garse à sa mere pour chambriere, luy disant qu'il n'en avoit point et qu'il ne s'en sçauroit passer ; qu'il la traicteroit bien, qu'il la marieroit quand il viendroit à temps. La
- ↑ Pour : emplette, achat, de bon usage.
- ↑ Expression proverbiale, qui se rapporte aux grands coups que se portaient les chevaliers couverts d'armures dans les joutes et les tournois.
- ↑ Pour : guetter, épier, attendre aux aguets.
- ↑ Tirer l'argent de dessous l'aîle, c'est le tirer de dessous l'aisselle, parce que c'est là qu'on mettoit autrefois la bourse ou le bourson, communément nommé gousset : d'où est venu qu'on a dit sentir le gousset, pour exprimer la mauvaise odeur que le bourson porté sous l'aisselle y devoit contracter. (L.M.)
- ↑ On lit dans les éditions suivantes : alla luy-mesme à Arqueil, et demanda.
- ↑ Note de correction wikisource : dans la première édition originale de 1558 R. Granjon (Lyon), le passage est celui restitué à savoir : alla luy mesmes à Arqueil, et demanda. On trouve exactement la même phrase dans l'édition de 1561 G. Rouille (Lyon).