devant, qui disoit en cailletois[1] : « Ce n'ha pas esté moy aussi. » Et, voyant qu'ilz disoient tous nenny, quand on luy demandoit : « Ha-ce point esté cestuy-cy ? — Nenny, disoit Caillette. — Et cestuy-cy ? — Nenny. » Et, à mesure qu'ilz respondoyent nenny, l'escuyer les faisoit passer à costé, tant qu'il n'en resta plus qu'un, lequel n'avoit garde de dire ouy, après tant d'honnestes jeunes gens qui avoyent tous dit nenny ; mais il dit comme les autres : « Nenny, Monsieur, je n'y estois pas. » Caillet estoit tousjours là, pensant qu'on le deust aussi interroger si ç'avoit esté luy : car il ne luy souvenoit plus qu'on parlast de son oreille. De sorte que, quand il veit qu'il n'y avoit que luy, il s'en va dire : « Je n'y estois pas aussi. » Et s'en va remettre avec les pages, pour se faire coudre l'aultre oreille au premier pillier qui se trouveroit.
A l'entrée de Rouan[2] (je ne dy pas que Rouan entrast, mais l'entrée se faisoit à Rouan), Triboulet[3] fut envoyé devant pour dire : « Voy les cy venir ! » qui estoit le plus fier du monde d'estre monté sur un beau cheval caparassonné de ses couleurs, tenant sa marotte des bonnes festes. Il picquoit, il couroit, il n'alloit que trop. Il avoit un maistre avec luy pour le gouverner[4]. Et, povre maistre, tu n'avois pas besogne faicte : il y avoit belle matiere pour le faire devenir Triboulet luy-mesmes. Ce maistre luy disoit : « Vous n'arresterez pas, vilain ? Si je vous
- ↑ C'est à dire en son langage de Caillette. G. Bouchet, dans la XIVe Serée, attribue cette naïveté à Triboulet.
- ↑ Il s'agit sans doute de l'entrée de Louis XII à Rouen, le 28 septembre 1508 ; c'est du moins la seule entrée solennelle dans cette ville que mentionne le Cérémonial françois de Godefroy, antérieurement à l'année 1537, date de la mort de Triboulet.
- ↑ Triboulet, qui était fou en titre d'office de Louis XII, mourut au service de François Ier, en 1537 ; on imprima, sans date, à Paris, une pièce de vers intitulée les Lamentations et Complaintes de Triboulet, fol du Roy, qu'il fait contre la mort. Voici son portrait, composé en 1509 par Jean Marot, dans la relation rimée du Voyage de Venise, où il représente Triboulet tremblant de peur et caché sous un lit de camp pendant la bataille :
Triboulet fut un fol de la teste escorné,
Aussi sage à trente ans que le jour qu'il fut né ;
Petit front et grands yeux, nez grand, taillé à vote,
Estomach plat et long, haut dos à porter hote,
Chacun contrefaisoit, chanta, dansa, prescha,
Et de tout si plaisant qu'onc homme ne fascha. - ↑ Il y avait un gouverneur des fous, des nains et des singes du roi ; mais l'officier subalterne n'est pas désigné dans les États de la maison de François Ier.