Page:Desperiers - Cymbalum mundi, Delahays, 1858.djvu/92

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chapitre ne t’oubliera pas : tu auras le premier qui vacquera. » Mais quand ce venoit au fait, il y avoit tousjours quelque excuse : ou que le benefice estoit trop gros, et pourtant l’un des messieurs l’avoit eu ; ou qu’il estoit trop petit et qu’on ne luy voudroit faire present de si peu de chose ; ou qu’ilz avoient esté contraintz de le bailler à l’un des neveuz de leur frere[1]. Mais qu’il n’y auroit faute qu’il n’eust le premier vacquant. Et de ces belles parolles ilz entretenoient ce bassecontre, tant que le temps se passoit, et servoit tousjours sans rien avoir. Et cependant il faisoit tousjours quelque present selon sa petite faculté à messieurs tel et tel, de ceux qu'il congnoissoit avoir plus grande voix en chapitre, comme fruitz nouveaux[2], poulletz, pigeonneaux, perdriaux, selon la saison, que le povre chantre acheptoit au marché vieux, ou à la regretterie[3], leur faisant à croire qu'ilz ne luy coustoyent rien. Et tousjours ilz prenoyent. A la fin, le bassecontre, voyant qu'il n'en estoit jamais meilleur, ains qu'il y perdoit son temps, son argent et sa peine, se delibera de ne s'y attendre plus ; mais il se proposa de leur montrer quelle opinion il avoit d'eux, et pour ce faire, il trouva fasson de mettre cinq ou six escuz ensemble, et tandis qu'il les amassoit (car il luy falloit du temps), il commença à tenir plus grand compte de messieurs, qu'il n'avoit de coustume, et à user de plus grande discretion. Quand il veit son jour à point, il s'en vint aux principaux d'entre eux, et les pria l'un après l'autre qu'ilz luy voulussent faire cest honneur de disner le dimanche prochain en sa maison, leur disant qu'en neuf ou dix ans qu'il y avoit qu'il estoit à leur service, il ne pouvoit faire que leur donner une fois à disner ; et qu'il les traiteroit, non pas comme il leur appartenoit, mais au moins

  1. C'est-à-dire à leurs enfants propres. On sait le conte de l'évêque qui, faisant ses visites, s'arrêta chez un prêtre de son diocèse, dans la maison duquel voyant deux peitits enfants, il lui demanda à qui ils appartenaient, lui ordonnant de dire la vérité : « Monseigneur, lui répondit-il, ce sont les neveux de mon frère. » Le bon évêque n'y fit pas autrement réflexion, et ce ne fut que quelques jours après qu'un prêtre de sa suite lui apprit le sens de cette réponse. (L.M.)
  2. Réminiscence de ces vers du Dialogue de deux amoureux, par Clém. Marot :

    Je luy ay donné fruictz nouveaux
    Acheptez en la Place aux Veaux,
    Disant que c'estoit de mon creu.

  3. Regratterie ; chez les revendeurs ou regrattiers.