Page:Desperiers - Cymbalum mundi, Delahays, 1858.djvu/93

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mal qu'il luy seroit posible ; tousjours usant de telles parolles de respect. Ilz luy promirent, mais ilz ne furent pas si mal soigneux, quand ce vint le jour assigné, qu'ilz ne fissent faire leur cuisine ordinaire chascun chez soy, de peur d'estre mal disnez chez ce bassecontre, se fians plus en sa voix qu'en sa cuisine. A l'heure du disner, chascun envoye son ordinaire chez le chantre, lequel disoit aux valetz qui l'aportoyent : « Comment ? mon amy, monsieur vostre maistre me faict il ce tort ? Ha il[1] si grand peur d'estre mal traité ? Il ne devoit rien envoyer. » Et ce pendant il prenoit tout, et, à mesure qu'ilz venoyent, il mettoit tous les potages ensemble en une grande marmite qu'il avoit expressement apprestée en un coing de cuisine. Voicy messieurs venuz pour disner, qui s'assirent tous selon leurs indignitéz[2]. Le chantre leur presente, de belle entrée de table, les potages de ceste marmite. Et Dieu sçait de quelle grace ilz estoyent : car l'un avoit envoyé un chappon aux porreaux, l'aultre au safran ; l'aultre avoit la piece de beuf poudré[3] aux naveaux[4] ; l'aultre, un poullet aux herbes ; l'aultre, bouilly ; l'aultre, rosty. Quand ilz virent ce beau service, ilz n'eurent pas le courage d'en manger ; mais ilz attendoyent chascun que leur potage vinst, sans prendre garde qu'ilz les heussent devant eux. Mon chantre, qui alloit et venoit, faisant bien l'empesché à les servir, regardoit tousjours leur contenance de table. Estant le service un peu long, ilz ne se peurent tenir de luy dire : Oste nous ces potages, bassecontre, et nous apporte les nostres. Ce sont bien les vostres, dit il. Les nostres ? non sont pas. Si sont bien, dit il à l'un, voilà vos naveaux, à l'autre, voilà voz choux, à l'autre, voilà voz porreaux. Lors ilz commencerent à recongnoistre chacun leurs soupes et à s'entreregarder. « Vrayement ! dirent-ilz, nous en avons d'une ! Est-ce ainsi que tu traites tes chanoines, bassecontre ? — Le diable y ayt part ! je

  1. M. L. Lacour fait observer ici que le t se prononçait toujours, quoiqu'on ne l'écrivit pas encore. « Souvent nous prononçons des lettres qui ne s'escrivent pas, comme quand nous disons : Dine-ti ? ira-ti ? et escrivons  : dine-il ? ira-il ? et seroit chose ridicule si nous les escrivions selon qu'ils se prononcent. » (PELETIER, de l'orthographe, liv. I, p. 57.)
  2. Jeu de mots, pour : dignités.
  3. Pour : saupoudré.
  4. Pour : navets.
  5. Ce ne sont pas les nôtres.