disois bien que ce fol nous tromperoit, disoit l’un ; j’avois le meilleur potage que je mangeay de cest an. — Et moy, disoit l’autre, j’avois tant bien faict accoustrer[1] à disner ! je me doubtois bien qu’il le valloit mieux manger chez moy. Quand le bassecontre les eut bien escoutez : « Messieurs, dit-il, si voz potages estoyent tous si bons, comment seroyent-ils empirez en si peu de temps ? Je les ay faict tenir aupres du feu, bien couvertz ; il me semble que je ne pouvois mieulx faire. — Voire mais, dirent-ilz, qui t’ha appris à les mettre ainsi tous ensemble ? Sçavois-tu pas bien qu’ilz ne vaudroyent rien en la sorte ? — Et doncq, dit-il, ce qui est bon à part n’est pas bon assemblé ? Vrayement, dit-il, je vous en croy, et ne fust-ce que vous autres, messieurs. Car, quand vous estes chascun à part soy, il n’est rien meilleur que vous estes ; vous promettez montz et vaulx, vous faictes tout le monde riche de voz belles parolles. Mais quand vous estes ensemble en vostre chapitre, vous ressemblez à potages. » Alors ilz entendirent bien ce qu’il vouloit dire. « À ha ! dirent-ilz, c’estoit doncq là que tu nous attendois ! Vrayement, tu as raison, va ! Mais ce pendant, ne disneront-nous point ? — Si ferez, si ferez, dist-il, mieulx qu’il ne vous appartient. » Et leur apporta ce qu’il leur avoit faict accoustrer, dont ilz mangerent tres bien, et s’en allerent contens. Et conclurent ensemble des l’heure qu’il seroit pourveu : ce qu’ilz firent. Ainsi son invention de soupes luy valut plus que toutes ses requestes et importunitez du temps passé.
NOUVELLE IV.
Un chantre de Nostre-Dame de Reims en Champagne avoit singulierement bonne voix de bassecontre, mais c’estoit l’homme
- ↑ Préparer, accommoder ; ce mot vient du bas latin accultrare, découper, tailler au couteau.