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  CLEONICE,  



XLIII.

De ces Yeux rigoureux, où ma mort ſe peut lire,
Contre ma volonté le Ciel me tient abſent,
Ie dirois pour mon bien, ſi mon cœur languiſſant
Trouuoit quelque allegeance au feu qui le martyre.

La fin d’un de mes maux eſt naiſſance d’vn pire,
Mon eſperance eſt foible, & mon deſir puiſſant :
Tandis, fieres beautez, qui m’allez meurtriſſant,
Soit mon bien, ou mon mal, ſans fin ie vous deſire.

Clairs miroirs de mõ ame, yeux des miens tant aimez,
Qui ſi loin de mon cœur touſiours le conſommez,
Roſes que le Soleil ne peut rendre ſeichees.

Filets d’or, chers liens de mes affections,
Et vous, beautez du Ciel, graces, perfections,
Helas pour tout iamais me ſerez-vous cachees ?


XLIIII.

Demain i’eſpere voir la beauté qui m’affole,
Et ceſt œil gracieux mon ſuperbe vaincueur :
Voir ceſte viue glace & m’en brûler le cœur,
Et rauir mes eſprits en ſa douce parole.

Mais, ah Dieu ! que le temps legerement ſ’enuole
Alors qu’en la voyant i’adouci ma langueur !
Et qu’helas ! au contraire, il eſt plein de longueur
Quand pour en eſtre loin ie pleure & me deſole.

Que dy-ie, en eſtre loin ? ie la voy ſans ceſſer,
Et ſuis touſiours aupres du cœur & du penſer :
Car ſi la nuict cruelle au ſoir m’en fait diſtraire,

Mon eſprit amoureux ne part point de ſes yeux,
Comme le beau Soleil ne part iamais des Cieux,
Biẽ qu’il coure en tournãt l’vn & l’autre hemiſpere.