Page:Desrosiers - Âmes et paysages, 1922.djvu/166

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silhouette sur le St-Laurent où reposent, massifs et indistincts, les navires à l’ancre.

L’asphalte noire et polie luit aux lueurs des réverbères, tandis que l’eau dégringole aux pentes des rues qui se nomment de l’Hôpital, de Brésoles, de St-Sulpice, du St-Sacrement, St-Éloi, Le Moyne, St-Paul, la place Royale ou la place d’Youville. Le vieux Montréal semble pleurer, par cette soirée humide, tout son passé de gloire et de chevalerie.

Deux adolescents s’en vont rue Notre-Dame. L’un est un collégien aux yeux naïfs, curieux, rapides à changer d’expression. À peine s’il a vingt ans. On devine en lui une libre flamme d’enthousiasme et l’ardeur pure de l’idéalisme. Il écoute son compagnon loquace, gros et court qui marche en se dandinant. La parole de celui-ci coule inlassablement et révèle qu’il est superficiel et ne saisit des choses que leur apparence et leur façade. Bon vivant, sans fiel, sans haine, il glisse sur la vie comme sur le courant d’une eau paisible et lente. Ce soir, il conduit son ami Gaston Beauchamp au Cénacle, au cénacle où la jeunesse se rassemble, remue les idées, s’enveloppe d’une atmosphère d’art, de joie bruyante, tapageuse, paradoxale et tourbillonnante. Il ne tarit pas sur les bons