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leur côté, ceux-ci ont noté le changement de température : « je vis mes gens courir comme des cerfs sur l’orée du bois, tirant vers moi ». Les voyageurs sautent dans le canot, ils hissent la voile, ils avironnent de toute leur force : « nôtre petit vaisseau d’écorce fendant les ondes d’une vitesse incomparable », ils atteignent la pointe de l’Île d’Orléans vers les dix heures du soir. Ils n’ont point mangé de tout le jour. Maintenant la marée s’écoule, et ils attendent près d’un bon feu le moment propice pour franchir les deux autres lieues. Et, « sur le minuit, le flot retournant, nous nous embarquâmes, la lune nous éclairant, le vent et la marée nous faisaient voler ».

Les Indiens dirigent le canot vers l’embouchure de la rivière Saint-Charles afin d’y entrer et de déposer le missionnaire à la porte même de Notre-Dame des Anges. Mais la débâcle n’a pas encore eu lieu ; bien plus, « nous voulûmes approcher du rivage, mais le vent y avait rangé un grand banc de glaces, qui se choquaient les unes les autres, nous menaçaient de mort si nous abordions ». Alors le canot doit tourner court, refouler courant et marée, vagues et vent ; la tempête souffle du nord-est. À l’avant du frêle esquif, debout, le chef cherche passage, repousse les glaçons. On double le Sault-au-Matelot, mais non sans risquer sa vie, on longe le rivage, on se rend jusque vis-à-vis du fort, cherchant « un petit jour ou une petite éclaircie » afin d’aborder. Enfin on en trouve un « où les glaces ne branlaient point pour être à l’abri du vent ». Le chef saute sur la banquise, de même que l’Apostat. Le missionnaire hésite : « les glaces étaient si hautes et si épaisses sur le rivage qu’à peine y pouvais-je atteindre avec les mains » ; mais enfin il se cramponne au pied du chef, il saisit de l’autre main une pointe de glace, et il grimpe en sûreté à son tour. Les deux Indiens soulèvent le canot, le hissent et l’on se congratule : « Mon grand ami, nous avons pensé mourir ».

L’aventure tire à sa fin. « Étant échappés à tant de périls, dit le missionnaire, nous traversâmes notre