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les opiniâtres

Rassasiés de rapines, les Iroquois quittèrent enfin le Saint-Laurent. Le jour même, Pierre et Ysabau s’embarquèrent en canot. Ni l’un, ni l’autre ne parlaient. Une chaleur humide s’appesantissait sur la forêt en lisière du rivage sablonneux. Parfois un éturgeon sautait, rompant la surface de l’eau vernie, glacée comme un miroir, verte parce qu’elle réfléchissait des feuillages et qui, par sa limpidité, donnait l’impression d’un épais bloc de cristal.

Ils parvinrent au défriché très tard. Quittant le fleuve éclairé, ils entrèrent comme en une tente dans l’obscurité du bois, cherchant le sentier envahi par les herbes et les broussailles. Dans la clairière, ils retrouvèrent la lumière du fleuve, et au milieu, l’ombre familière de la cabane accroupie comme une bête. Après avoir tout rangé à l’intérieur, ils revinrent s’asseoir sur le perron pour goûter un peu de fraîcheur.

— Et toi, Pierre, que penses-tu de tout cela ?

— Moi ?

Lui communiquerait-il les impressions qui l’avaient assailli durant ces semaines ? Désœuvré, il avait interrogé et écouté les coloniaux de la première heure : Hertel, Godefroy, Nicolet. Devant le péril iroquois qui menaçait soudain son entreprise à fond, il avait voulu s’enquérir des circonstances indépendantes de sa volonté, dont son travail subirait la répercussion. D’insurmontables obstacles se dessinaient dans cette zone. Pierre avait reconstitué l’histoire brève de la Nouvelle-France. Le cardinal de Richelieu avait un instant compris la grande œuvre à accomplir ; mais toujours attentifs, les Anglais avaient écrasé de leurs canons le premier grand convoi de colons et de vivres. Presque éreintée du coup, ruinée, la grande compagnie qu’il avait formée appliquait petitement un vaste programme. Elle possédait et administrait le pays. En retour du monopole des fourrures, elle maintenait une couple de fortins,