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entretenait une centaine de soldats, versait les émoluments des fonctionnaires, transportait quelques colons.

— Richelieu n’a plus de temps et d’argent que pour la lutte contre l’Espagne et les difficultés intérieures ; la France n’a pas grand besoin de produits forestiers, agricoles ou autres ; elle ne souffre pas d’un surplus de population à établir ailleurs. Des idées diverses ont cours : les colonies coûteraient cher, ne rapporteraient rien ; elles draineraient le royaume de ses hommes. Seuls comprennent quelques individus qui voient très loin, mais des besoins urgents détournent leur attention.

Pour une période du moins, l’avenir se présentait sous forme d’étés gâchés, de semailles inachevées, de récoltes compromises. Les hivers se rempliraient-ils même d’alertes ? Sur la tête de tout colon isolé, pèserait le danger continuel des tortures. Par ce soir mort, rutilant d’étoiles au ciel du défriché, après les expériences et les conversations des dernières semaines, Pierre de Rencontre ne pouvait former aucun pronostic optimiste, ni concevoir une espérance immédiate.

— Défricher le domaine prendra plus de temps que tu ne pensais ?

— Je crains parfois que ce soit impossible.

— Pierre, ne sommes-nous pas heureux ainsi ? N’exigeons pas autre chose que notre bonheur. Attendons.

— Mais le danger, Ysabau ? Après ces négociations manquées, les prochains Français capturés n’en réchapperont pas comme Marguerie et Godefroy.

La clairière indistincte se coiffait de son plafond constellé. Souches et amas de branches renflaient leurs masses d’ombre noire ; les crécelles des grillons crépitaient dans le silence ; des plaques lumineuses de fleuve luisaient entre les branches d’arbres immobiles.