Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/136

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Des lignes sinueuses divisaient en deux ce matin d’été en forêt ; l’ombre conservait la fraîcheur et la rosée des nuits ; mais les parties soleilleuses s’étaient déjà asséchées et réchauffées. Pierre affilait des fourchets. Bras nus, une robe légère passée à la hâte, adossée à la cabane, Ysabau regardait couler les moires opalescentes du fleuve des journées de chaleur ; elle sentait voltiger sur son corps, au travers des vêtements, la caresse énervante des rayons réfléchis qui frappaient les vaguelettes avant de danser leur bourrée autour d’elle sur les feuillages et les troncs d’arbres. À sa gauche reposaient les essarts, — lumière et clair-obscur, — sous le calme odorant de l’air ; des prairies luisaient au loin. Des vaches paissaient dans l’arrachis bouleversé.

Heureuse d’exister par cette matinée délicieuse, Ysabau taquinait Pierre.

— Pierre, je voudrais partir tout à l’heure, remonter le fleuve en canot comme autrefois, tu sais, quand je suis arrivée.

Elle le tenait sous l’intensité de son regard, laissant rayonner toute son attraction comme une rose jette son parfum.

Elle ne remuait pas ; de sa voix rauque, elle lançait les mots, comme des appels, à de longs intervalles.

— Pierre, tous les deux seulement… Pierre, nous sommes si fatigués, si malades d’angoisse, parfois… Nous vois-tu dans tout ce soleil, après l’hiver qui n’en finit plus… Pierre.

Amusée, un peu prise elle-même à son jeu, elle prononçait les supplications d’un accent chaud. Elle disait encore :

— Pierre, regarde-moi… Dans mes yeux, Pierre.