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à Rome. Elle semble me signifier que je n’aurais pas du dire un mot avant que la sentence ne fût rendue.

J’oserai lui observer que quand un tribunal met quatre longues années, non pas à se décider à rendre une sentence sur une question depuis longtemps résolue par la pratique universelle ; mais à trouver les moyens de n’en pas rendre une, il est assez difficile aux hommes qui vivent dans des pays qui ne sont pas frappés de l’immobilité politique et intellectuelle dont l’état romain offrait le navrant spectacle avant les terribles leçons que la Providence vient de donner à ceux qui y pétrifiaient ainsi la pensée humaine, il est assez difficile, dis-je, de laisser plusieurs années s’écouler sans donner signe de vie contre les agressions furieuses et de tous les jours qui étaient dirigées contre l’association dont je suis membre.

Si au moins les journaux du clergé avaient eu la décence de ne rien dire en attendant le jugement, nous aurions pu éviter de parler et de nous défendre. Mais quand nous voyions chaque jour les plus malhonnêtes accusations publiées contre nous, accusations qui trouvaient toujours le moyen de parvenir jusque dans les chaires de la ville et des campagnes ; quand nous voyions tous les principes qui forment la base des institutions libres, dont nous jouissons en ce pays, quoiqu’à un bien moindre degré qu’aux États-Unis, attaqués sans merci par nos ennemis qui, au fond, ne nous poursuivent avec tant d’acharnement de leurs injures que parceque nous défendons la liberté contre le torysme local — et non pas à cause de quelques pauvres livres qui se trouvent dans toutes les autres bibliothèques que l’on ne condamne pas — quand nous étions en un mot le but constant de calomnies sans trêve et sans fin, il ne nous était absolument pas possible de ne jamais repousser la calomnie, de rester toujours silencieux sous l’insulte, ni de ne jamais combattre les tendances absolutistes que des hommes mus par l’intérêt, et bien souvent par l’ignorance, manifestent avec persistance au milieu de nous.

Et je puis ajouter que dans cette lutte la décence du langage et la convenance des formes n’ont jamais été du côte de nos adversaires qui semblent monopoliser plus qu’ailleurs encore la triste habitude de ne jamais parler religion sans blesser outrageusement la charité et le savoir vivre. Ils ne défendent les bons principes comme ils savent les comprendre qu’avec le langage le plus soigné de la halle.

Au reste, nous avons aujourd’hui le plaisir, après avoir été tant vilipendés par eux, de les voir s’entredéchirer en toute conscience, et nous comprenons mieux que jamais la véritable valeur de leurs insultes. Ils se chargent eux-même, depuis quelque temps, de nous donner les plus intéressants renseignements sur leur rectitude d’intention et leur sincérité. Partagés en deux camps rivaux où la discorde a semé la tempête, ils se lancent les uns et les autres dans les descriptions réciproques les plus inattendues et les définitions morales le plus remarquables. Ils se peignent les uns les autres d’après nature et avec une fidélité de pinceau qui montre à quel point ils se connaissent. On ne nous a au moins jamais reproché l’hypocrisie, et c’est justement là la prédisposition naturelle et la qualité dominante que nos religieux adversaires constatent aujourd’hui les uns chez les autres avec un bonheur de logique ravissant pour ceux qu’ils ont tant insultés ! Ils se renvoient mutuellement la balle avec un sans-gêne qui prouve que pour cette fois au moins, chose prodigieuse et nouvelle, ils disent sincèrement ce qu’ils pensent ; et nous assistons tout ébahis à un spectacle si plein d’intérêt.

Je n’ai pas parlé par hostilité, mais par nécessité. Il fallait défendre mes amis et moi contre la passion ignorante, le préjugé opiniâtre et la calomnie aveugle, car voilà vraiment les traits caractéristiques d’un grand nombre de ceux qui prétendent hypocritement défendre au milieu de nous une religion qui n’est pas attaquée, et qui ne font réellement que la compromettre par leurs