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l’idée religieuse elle-même. On était bien plus criminel, du dixième au quinzième siècle, en résistant au prêtre qu’en violant les préceptes les plus essentiels de la morale. Il y a eu un temps où le meurtre de son père se rachetait par une amende de dix-sept livres, pendant que le fait d’enterrer clandestinement un excommunié en terre bénite ne pouvait s’effacer qu’en payant trente-six livres ! Voilà la morale pratique que le Clergé a maintenue pendant plusieurs siècles, et que constatent les taxes de la chancellerie apostolique. Le plus odieux des crimes était moins puni que la simple violation d’une ordonnance ecclésiastique ! Et quand on refusait la sépulture chrétienne à ceux qui n’avaient pas fait un legs à l’Église — qui possédait plus de la moitié du sol et n’en refusait pas moins de contribuer aux charges publiques — on conçoit fort bien que les fidèles ne trouvassent pas cette raison suffisante, pour être exclus d’un cimetière, et prissent, dans leur foi naïve, des mesures pour y placer leurs parents ou amis arbitrairement jetés à la voirie.

Voilà Mgr pourquoi j’ai parlé. Il est bon que le contre soit quelquefois mis en regard du pour, surtout quand on voit ceux qui ne veulent pas que le contre soit connu, adopter une si grande variété de moyens pour le tenir caché.

J’en viens maintenant à la dernière mesure que V. G. a cru devoir prendre à l’égard des paroissiens de Beauharnois qui ne paient pas dîmes parcequ’ils n’ont pas de terres. Cette mesure, Mgr, est de la plus haute gravité car elle constitue tout simplement un nouveau pas fait par V. G. dans la voie du défi qu’Elle a jeté depuis longtemps déjà à la suprématie de la loi civile en Canada.

Ceci peut paraître étrange à ceux qui ne se rendent pas toujours clairement compte de ce qu’ils voient ; qui ne saisissent pas de suite la portée de certains actes ; à ceux surtout qui ont la naïveté de croire que le Clergé n’agit jamais qu’en vue du bien absolu de la religion et sans aucune arrière pensée d’influence hiérarchique.

Ici on a le tort de ne juger le Clergé que sur ses paroles, jamais sur ses actes. Au lieu d’interpréter les paroles par les actes, c’est-à-dire de voir si les actes démontrent la sincérité des paroles, on ne fait au contraire que chercher à expliquer ou justifier les actes par les paroles. Comment supposer, quand un Évêque parle avec tant d’onction, qu’il songe à faire ce qu’il ne dit pas ? Aussi les actes ont beau démentir les paroles, on ne s’arrête qu’à celles-ci comme si ceux-là n’en démontraient pas l’inanité ! Aussi le Clergé abuse-t-il largement de la carte blanche qu’on lui donne en quelque sorte d’agir comme il l’entend, de mettre la loi de côté, de ne tenir aucun compte des droits d’autrui, pourvu seulement qu’il veuille bien de temps à autre se donner la peine de protester de ses intentions toujours désintéressées et irréprochables. Avec de bonnes paroles, il fait accepter quelquefois les choses les plus odieuses, depuis le refus arrogant et arbitraire de sépulture jusqu’à la captation testamentaire la moins déguisée. Et quelque démenti que ses actes donnent à ses protestations, impie est celui qui maintient que la preuve de l’intention est dans l’acte et non dans une phrase sentimentale adroitement tournée.

Depuis 1864 où le Syllabus est venu pénétrer le Clergé de l’idée de sa prééminence absolue sur les peuples et les gouvernements, les hommes qui observent ce qui se passe ont vu V. G. adopter une allure beaucoup plus décidée vis-à-vis de la loi civile, et chaque année a vu surgir une prétention nouvelle et une tactique correspondante. V. G. préparait ainsi insensiblement le terrain pour l’éventualité d’une lutte avec le pouvoir civil, éventualité à peu près inévitable puisque l’Église veut désormais réduire l’État au rôle de pouvoir subordonné. L’objet principal du Syllabus était de faire des gouvernements les instruments dociles, aveugles même, du pouvoir ecclésiastique. Et en effet, le Pape s’affirmant infaillible sur les questions de mœurs, il ne reste clairement au pouvoir civil qu’à plier le genou et obéir sans conteste. C’est précisément ce qu’exigeait