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la bulle Unam sanctam quand elle affirmait que le glaive temporel doit être employé ad nutum sacerdotis (au premier signe du prêtre). Le prêtre, lui, appelle cela, « le droit divin ; » et les gens sensés, eux, appellent cela la suprême expression de l’orgueil ecclésiastique.

Et quand je parle d’orgueil ecclésiastique, j’ose croire que l’expression n’est pas entièrement déplacée, et encore moins inexacte, car à part les nombreuses citations que j’ai déjà faites démontrant à qui ne ferme pas absolument les yeux, que l’objet principal de l’ultramontanisme a toujours été de faire du Pape un Dieu sur terre, d’après l’expression d’un Évêque plein de vie au moment où je parle ; je me permettrai d’en faire encore quelques unes qui prouveront que depuis le Pape jusqu’au dernier clerc, on se regardait comme au-dessus de l’espèce humaine. Innocent iii d’ailleurs l’a dit du Pape : « moins que Dieu, mais plus que l’homme ! »

Un de vos canonistes les plus autorisés, Julianus, n’a-t il pas dit que le Pape a à peu près la même puissance que Dieu ? Votre Trionfo n’a-t-il pas dit que le Pape avait droit aux mêmes honneurs que les Saints et les Anges ? Et il est plus qu’un ange d’après le Pape Innocent IV. « Quoi ! disait-il à l’Empereur Frédéric, celui qui jugera un jour les anges dans le Ciel ne pourrait juger les choses de ce monde ! » Est-ce là l’humilité chrétienne ? St. Grégoire le grand parlait-il ainsi ? Et puis n’est-il pas quelque peu étrange en doctrine de parler de juger les anges que l’on nous assure être impeccables ? Sur quoi donc le Pape espérait-il les juger ?

Et quand Grégoire VII fit sa fameuse comparaison des dignités papale et royale, comparant celle-là au soleil et celle-ci à la lune, ne s’est il pas trouvé un canoniste italien pour montrer par un calcul mathématique en règle, que le Pape était 1744 fois plus grand que l’Empereur ? Mais un canoniste français trouva son confrère du Sud beaucoup trop modeste dans son calcul ; et il en fit un autre démontrant que la grandeur du Pape équivalait à 6645 fois celle de l’Empereur. Et un mauvais plaisant de l’époque vint à son tour démontrer encore une légère erreur chez ce dernier, et prouva irrésistiblement par de nouveaux calculs qu’il s’était trompé de près d’un huitième dans son estimation. Et l’Évêque Alvare Pélage ne disait-il pas que l’autorité du Pape est sans nombre, sans poids et sans mesure ? N’est-ce pas lui qui a dit le premier que le Pape était un Dieu sur terre ? Et Zenzolius n’a-t-il pas appelé le Pape : « Notre Seigneur Dieu le Pape !  ! » Mais on a eu honte du blasphème, et l’on a retranché le mot Dieu dans la dernière édition de l’ouvrage de ce flatteur ecclésiastique.

Enfin ce n’était pas seulement le Pape que l’on mettait au-dessus de l’humanité. Le plus infime des clercs devait être aussi regardé comme bien au-dessus du plus puissant laïc. Dès le neuvième siècle quelques conciles provinciaux avaient ordonné que quand un laïc à cheval rencontrerait un clerc à pied, celui-là descendrait de cheval pour saluer celui-ci. On avait aussi décrété que les grands de l’État ne devaient pas s’asseoir devant les Évêques. Ce n’est pas là précisément de l’humilité. Deux siècles plus tard St. Pierre Damien disait qu’un séculier, quelque pieux qu’il fût, ne saurait être comparé à un moine même imparfait, puisque l’or, bien qu’altéré, est plus précieux que l’airain pur. Un autre docteur du douzième siècle comparaît non seulement le Pape à Dieu, mais les clercs aussi. « Dieu est un fondement, les clercs sont des fondements ; Dieu est la montagne, les clercs sont des montagnes, » etc., etc., etc.

Enfin quand on voulut exterminer les Vaudois, que « l’on reconnaissait à leur vie exemplaire ; » que St. Bernard lui-même avait déclarés « mener une vie pure et honnête ; » et que plus tard encore le cardinal Sadolet représenta comme irréprochables de vie et de mœurs et valant beaucoup mieux que leur détracteurs ; ne s’est-il pas trouvé un défenseur de l’Église, Pilichdorff, pour prétendre, s’appuyant