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sur les fausses décrétales, que « le plus corrompu des hommes, s’il est clerc, est plus digne que le plus saint des laïcs ? » Donc la vie honnête des Vaudois ne leur servait de rien.

Est-ce là de l’orgueil, Mgr, oui ou non ! et de l’immoralité par dessus le marché. Voilà comme l’ultramontanisme a de tout temps édifié, éclairé et moralisé le monde ! Un clerc criminel vaut mieux qu’un laïc irréprochable !  !

Je reviens à mon sujet.

Il est plusieurs prétentions auxquelles l’Église a renoncé peu à peu, non pas explicitement par des déclarations précises, mais implicitement en laissant faire. Ainsi le seul bon sens public a forcé le Clergé de cesser de défendre aux tuteurs de placer à intérêt les fonds de leurs pupilles. Depuis dix-sept siècles on en faisait un péché mortel, et on refusait l’absolution aux tuteurs qui obéissaient à la loi, bien autrement sage sur cette question, que toutes les prescriptions ecclésiastiques, toujours en retard de cinq à dix siècles dans la marche de l’humanité. Voilà un autre point important où, par pure ignorance des lois qui régissent l’économie sociale, les Papes maintenaient comme vérité de salut ce qui était certainement erreur, et ils ont imposé cette erreur au monde pendant dix-sept siècles puisque ce n’est qu’en 1830, sous Pie VIII, qu’ils ont enfin prononcé le non esse inquietandos. Le prêt à intérêt est donc enfin permis, après avoir été si inflexiblement flétri, malgré la célèbre parabole où Jésus loue deux serviteurs fidèles qui avaient doublé, en les faisant profiter, les sommes que leur maître leur avait laissées, et blâme si sévèrement le troisième pour avoir enfoui son talent au lieu de le mettre entre les mains des changeurs[1] Jésus-Christ louait donc ce que l’Église déclarait digne de l’enfer même chez le tuteur qui obéissait à la loi, et celle-ci déclarait digne de louange ce que Jésus-Christ flétrissait : ne pas mettre l’argent de son maître, (ou de son pupille) entre les mains des changeurs pour le faire profiter.

Mais il y a plusieurs questions sur lesquelles l’Église n’a pas encore voulu entendre raison. Cela viendra pourtant aussi certainement que sa tardive adhésion à la doctrine du prêt à intérêt, mais ça n’est pas encore venu ; et en attendant, on maintient diverses prétentions qu’il faudra abandonner plus tard, avec la même opiniâtreté que l’on a défendu le prêt à intérêt comme chose contraire à la morale et à la religion, pour finir par avouer, en prononçant enfin le Non esse inquietandos, que l’on s’était trompé.

Il y a donc encore la question du mariage des mineurs contre le consentement de leurs parents. La nature et la loi donne au père le droit de contrôler son enfant jusqu’à sa majorité, mais l’Église prétend que son pouvoir prime celui du père. Partout les gouvernements, les législateurs, les tribunaux et les légistes, le droit coutumier comme le droit écrit, ont repoussé ses prétentions ; mais est ce qu’il peut se trouver une parcelle de raison chez les laïcs qui n’admettent pas toutes les prétentions ecclésiastiques ? Aussi quand les tribunaux du pays ont condamné des Évêques qui avaient usurpé l’autorité du père de famille et consacré des mariages clandestins, le Clergé a crié comme s’il était tyrannisé quand c’était lui pourtant, et lui seul, qui assumait le rôle d’usurpateur. On crie bien fort ici contre les ministres protestants qui marient secrètement des enfants mineurs ; mais cela se faisait tous les jours à Rome sous le régime papal ; et si l’on a tort dans un cas, je ne vois guère comment on pouvait avoir raison dans l’autre. Au reste c’est encore là une de ces questions sur lesquelles l’Église finira par céder à la raison générale, comme elle l’a fait sur tant d’autres quand elle a eu affaire à des hommes indépendants et ayant conscience de leur droit.

Il y avait aussi la question du mariage entre oncle et nièce, et entre beau-frère et belle-sœur ; sur laquelle le Clergé de ce pays n’avait cédé que de loin en loin et avec beaucoup de dif-

  1. Les banquiers du temps.