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de leur application pratique en regard des autres droits ! Ces ignorants prétendront-ils qu’au Clergé seul appartient le réglement de ces questions ? Mais alors il serait juge et partie dans tout ce qui le concerne. Où sont les gens de bon sens qui consentiront à lui permettre d’entraver à volonté tout le système légal et toute l’administration d’un pays ? L’Église dira tant qu’elle voudra que l’État lui est soumis, où est le gouvernement qui acceptera cette doctrine ; et surtout où est le peuple qui supportera seulement deux heures un gouvernement assez aplati pour l’accepter ? Non ! Toutes ces prétentions ultramontaines, inadmissibles en droit, sont encore bien plus inapplicables en fait. Et il n’y a réellement que la plus merveilleuse incompétence en droit public et administratif qui puisse avoir la naïveté de les exprimer à l’heure qu’il est.

Pas un des ignorants dont je parle ne semble songer un instant que l’État peut fort bien exister sans l’Église puisqu’il y a onze cent millions d’hommes qui ne lui appartiennent pas ; pendant que l’Église ne saurait exister une heure sans l’état qui est l’organisation régulière de la société. Où serait la garantie des droits réciproques et de l’ordre public s’il n’y avait pas d’État mais seulement une Église ?

Mais, dit l’Église, l’État doit m’être soumis parceque mon pouvoir est d’une nature supérieure au sien. Ceci est une pure confusion d’idées puisque le spirituel et le temporel sont deux ordres de choses essentiellement distincts. Dans le domaine spirituel l’État n’a pas compétence ; mais dans le domaine temporel, l’Église n’a pas compétence non plus puisque ne possédant pas, par la nature de son institution, la puissance coercitive, elle ne saurait commander les actes de la vie civile ni punir la violation de la loi. Ceci est essentiellement la part du pouvoir civil. Je sais bien que l’on vient de décider que l’Église possède un pouvoir coercitif, mais comment peut-elle l’exercer ? Seulement par l’interposition du bras séculier ! Elle ne l’exerce donc pas directement, mais seulement par intermédiaire. Le pouvoir coercitif ne lui appartient donc pas par la nature de son institution, mais seulement par implication et sur ce faux point de vue que le spirituel commande au temporel. Or c’est à cette prétention même qu’à été adressée la grande parole : « Vous ne savez pas à quel esprit vous appartenez. »

Et puis si l’État est soumis à l’Église, celle-ci sera donc juge en dernier ressort dans toutes les questions qui surgiront entre elle et l’État, ou par l’État, entre elle et les particuliers ; donc toujours juge en sa propre cause. Ce serait donc le règne de l’arbitraire, et de l’arbitraire de la pire espèce puisqu’elle ne reconnait aucune responsabilité en ce monde. Or l’Église a trop montré, à toutes les époques de son histoire, combien il est dangereux de ne pas la tenir en bride pour qu’après tant d’amères expériences de son esprit d’accaparement et de domination, l’État puisse consentir à se faire son instrument. Et puis enfin il y a trop de questions sur lesquelles la raison générale a forcé l’Église de modifier ses prétentions et d’avouer son incompétence, pour qu’on lui permette de décider toujours souverainement de ce qui est juste et vrai dans la sphère temporelle. Ici la raison laïque se montre trop supérieure à la raison ecclésiastique pour qu’elle puisse accepter sa direction absolue.

Non ! il faut que l’Église en prenne son parti. Le vrai souverain, c’est la nation. Le gouvernement n’est que le délégué de la nation et l’expression de sa volonté. Et l’Église doit se soumettre aux puissances établies dans tout ce qui touche au domaine temporel. L’Église ne peut régir que ce qui est purement et essentiellement d’une nature spirituelle, et pour ceux-là seulement qui reconnaissent librement son autorité. Hors de là elle n’a aucune compétence quelconque. Et plus on criera contre ces principes plus on démontrera la nécessité de passer des lois qui tiennent les ecclésiastiques en échec et les soumettent au droit commun. Ils ne sont pas prêtres avant