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d’être hommes, ils sont au contraire hommes avant d’être prêtres. Sans doute ils veulent toujours se mettre au-dessus des lois, mais il faut leur faire comprendre que c’est la loi qui est souveraine et qu’ils lui doivent obéissance.

Je n’ignore pas que l’on nous parle sans cesse de la liberté de l’Église, liberté qui doit primer tout. On dit cela à ceux qui n’ayant rien lu ne savent pas ce que l’Église entend par sa liberté. Mais ceux qui ont un peu suivi son histoire savent que la liberté de l’Église signifie toujours qu’elle seule sera libre et qu’aucun autre droit ne restera debout devant le sien. La liberté de l’Église consiste pratiquement à prohiber toute autre liberté que la sienne. Que l’Église soit libre comme elle l’entend, et la liberté de conscience, la liberté des cultes, la liberté de la presse, la liberté même de la parole au Parlement et au Barreau seront détruites. À Rome on n’avait pas même la liberté de la parole en conversation privée ; et si quelqu’un était entendu, par un espion, blâmer le système administratif, on le logeait en prison sans seulement lui dire pourquoi ! Que l’Église soit libre comme elle l’entend et la liberté du Législateur et celle du Juge seront détruites, car celui-là ne pourra voter les lois, ni celui-ci les appliquer, sans donner en tout et partout le pas sur la loi civile au droit canon, cette prodigieuse compilation de principes faux et de contradictions étonnantes. Sans doute le droit canon contient aussi de très belles dispositions, mais trop souvent l’esprit arriéré de la Curie Romaine y a faussé toutes les notions du droit, et on ne pourrait l’appliquer aujourd’hui comme règle de la vie politique et sociale, sans bouleverser le monde, parcequ’il est resté saturé en quelque sorte de l’esprit des fausses décrétales, la plus impudente fraude et le plus honteux mensonge dont l’histoire fasse mention, et où pourtant un si grand nombre de Papes sont allés puiser tout leur arsenal de prétentions insoutenables. Que l’Église soit libre comme elle l’entend, et l’on devra fermer tous les établissements d’éducation où son esprit étroit et exclusif n’aura pu pénétrer ; et l’on verra enlever les jeunes enfants aux parents sous divers prétextes ; et on la verra accaparer en moins d’un siècle une portion notable de la fortune publique, c’est-à-dire qu’elle sera devenue comme autrefois maîtresse d’une grande partie du sol et rejettera les charges publiques sur le peuple seul, s’en déclarant exempte de droit divin !  ! On la verra aussi pratiquer la captation testamentaire sur la plus large échelle, comme dans tous les pays où elle ne subissait aucun contrôle, et rien ne pourra l’arrêter. Et le seul résultat possible de sa liberté comme elle l’entend sera de paralyser comme à Rome sous le pouvoir temporel, non seulement l’agriculture, l’industrie et le commerce, mais même l’intelligence publique par la censure aveugle et opiniâtre des idées et des livres. N’importe quel peuple, si avancé qu’il soit, ne peut éviter, avec ce système, de tomber dans une période donnée, dans l’ignorance et la pauvreté. Sous le système de la liberté de l’Église comme l’entend l’ultramontanisme, on n’a jamais vu que décadence et infériorité ! Et la chose est toute naturelle puisque les Ecclésiastiques ne sont pas faits pour gouverner les hommes ! La nature même de leurs études et surtout de leur vocation s’y oppose. Comment peuvent-il d’un côté affirmer qu’il doivent rester étrangers au monde, et de l’autre prétendre le gouverner, c’est-à-dire être dedans et dehors tout à la fois ? Voilà leur logique quand ils sortent du sanctuaire. Ce n’est pas de la religion cela, ce sont des richesses et des domaines. C’est de la domination et non du devoir ! C’est de l’orgueil et non de la charité ! C’est, suivant la belle expression de St. Bernard, « dominer les brebis et non combattre les loups ! »

Les idées manifestées aujourd’hui sur cette question de la suprématie temporelle du Clergé eussent paru monstrueuses aux premiers siècles. On les eût certainement honnies à l’époque par exemple ou Origène écrivait :