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des institutions du pays et une déclaration formelle d’indépendance vis-à-vis de l’état. C’est conséquemment créer de fait un état dans l’état ; c’est donc en définitive diviser la maison contre elle-même et préparer sa ruine. Ici encore on oublie un peu trop les principes que l’on nous prêche et les textes que l’on nous cite.

Ou V. G. devra renoncer d’elle même à son intempestive mesure, — qui au fond ne semble démontrer qu’une chose, savoir : que l’Église craint de ne pouvoir subsister sans coercition et par le seul bon vouloir et l’affection de ses enfants — ou il faudra que l’état intervienne prochainement pour l’annuler soit par législation directe, soit en déférant aux tribunaux cet empiètement si grave sur le principe, fondamental sous notre constitution ; que personne ne peut être taxé que de son consentement, c’est-à-dire sans l’autorisation de la puissance civile qui est l’expression de tous les consentements individuels.

Je regarderais cette mesure comme une simple erreur de jugement si elle n’était pas évidemment une espèce de prise de possession du droit que le Clergé s’attribue de se passer du pouvoir civil même dans le domaine civil. Et l’imposition d’une taxe sur les personnes même pour le soutien du Clergé est un acte essentiellement civil. La mesure de V. G. n’est donc qu’un simple fait de stratégie cléricale, le placement d’un jalon, d’une borne, pour limiter le terrain de l’état et agrandir celui de l’Église. V. G. s’est créé là une petite citadelle d’où ses fidèles de l’ultramontanisme crieront à la tyrannie avec l’aménité de langage qu’on leur connait quand l’état voudra se protéger contre ce flagrant empiètement sur ses droits et sur ceux de ses administrés.

Je pense d’ailleurs qu’il est temps d’informer V. G. que si elle croit que les pénibles efforts de logique que des hommes très neufs sur ces matières font depuis quatre ans pour faire accepter ici le principe de l’indépendance absolue de l’Église vis-à-vis du pouvoir civil dans les choses qui touchent au temporel, ont modifié l’opinion publique dans le sens clérical, Elle est dans une profonde erreur. Ce n’est pas avec des écrits de ce genre que l’on porte la conviction chez les hommes sérieux. Ce n’est pas en défigurant tous les faits de l’histoire, ou en faussant systématiquement leur signification ; ce n’est pas en contestant carrément tous les principes du droit que l’on peut faire accepter des prétentions que les gens repoussent d’instinct en attendant qu’ils se fassent une conviction raisonnée de leur fausseté en droit et en raison. Tous ces articles du Nouveau Monde, où la déraison le dispute à l’incompétence, et où la persistance dans l’affirmation tient lieu de savoir et de connaissances pratiques, sont comme autant de coups d’épée dans l’eau quant à leur effet sur la population. Les hommes réfléchis s’amusent de tant de logique perdue pour prouver irrésistiblement que l’impraticable marchera tout seul et que l’absurde est la raison même. Mais ces folies n’en sont pas moins utiles en ce sens qu’elles donnent la mesure de leurs auteurs et permettent de bien juger de leurs principes et de leurs tendances. Ce n’est que quand les charlatans ne disent rien que l’on est exposé à les prendre au sérieux.

Du moment qu’ils ouvrent la bouche, ils sont toisés. Qui sait même s’il ne nous faudra pas les remercier de nous avoir naïvement débité leur bagage philosophique, car en vérité ils ne pouvaient rendre un plus grand service à ceux qui leur supposaient une certaine valeur intellectuelle, et qui, d’après leurs cris et leurs injures, pouvaient croire à la possibilité d’une application pratique de leurs doctrines.

Non ! Mgr les choses ne peuvent bien aller dans un pays que quand chacun est à sa place : le Clergé à l’autel et l’état aux affaires. Et dès que le Clergé veut laisser l’autel pour se mettre aux affaires et contrôler l’État, chose qui lui était si rigoureusement interdite autrefois, l’inquiétude surgit et le trouble se manifeste dans les esprits.