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irréguliers pour les faire régulariser.

Voilà les scandaleuses luttes de l’Archevêque de Fribourg et de l’Archevêque de Turin contre le pouvoir civil transplantées en Canada ! Et comme à ces deux Archevêques, nous verrons peut-être arriver quelque jour un bref du Pape à son cher fils de Montréal pour le féliciter de s’être mis au-dessus des tribunaux et des lois sur une question aussi essentiellement spirituelle que la tenue des régîtres de l’état civil comme la loi le désire !

Mgr de Montréal veut que le Syllabus contrôle ou inspire notre législation ; et maintenant que le Pape est infaillible sur les mœurs, c’est-à-dire sur toutes les questions de l’ordre politique, légal et social, il faut bien que les gouvernements et les législatures, essentiellement faillibles, obéissent au premier signe d’un homme qui ne peut pas se tromper en matière temporelle. Le Pape est donc le maître du monde. Un Pape nous l’a déjà dit d’ailleurs en toutes lettres. Paul IV n’a-t il pas dit Ex cathedrà, — c’est-à-dire parlant au monde comme interprète de la vérité — dans la bulle Cùm ex apostolatûs officio : que le Pape règne avec une puissance absolue sur les peuples et les royaumes ; qu’il juge tout le monde et ne peut être jugé de personne. »

Comprend-on maintenant pourquoi tous les gouvernements catholiques ont prévenu la curie romaine que si l’infaillibilité du Pape était proclamée ils seraient forcés de prendre une attitude nouvelle vis à-vis de ce nouveau maître du monde ? L’infaillibilité sur les mœurs n’a jamais signifié autre chose que la suprématie absolue du Pape sur les peuples et les Rois, sur les législateurs et les gouvernements ; et ceux-ci voyaient parfaitement où l’on en voulait venir. De là leurs protestations et leurs avertissements. Mais la curie n’a rien voulu entendre et a montré son opiniâtreté habituelle. Aussi a-t-elle vu tous les gouvernements se déclarer forcément ses adversaires. Donc il faudra que tôt ou tard elle recule. Cela n’admet pas de doute pour ceux qui ont un peu d’histoire en tête et qui ont pu compter ses reculades par douzaines !  ! Et elle a été bien autre chose qu’opiniâtre.

Avant le Concile, que répondait-on aux Évêques qui s’informaient par lettre si l’on se proposait de proclamer l’infaillibilité ? Que répondait-on à des demandes analogues de la part des gouvernements ? Que l’on n’avait aucune telle intention ; que la Civiltà s’était trompée ; que la Cour de Rome n’était pas responsable de ce qu’un jésuite pouvait écrire…

Et quand on faisait ces réponses, le comité des théologiens avait déjà préparé et voté le schéma sur le nouveau dogme. Mais les Évêques n’en savaient absolument rien, car on avait imposé aux théologiens un serment de silence absolu sur ce que ferait la commission. On affirmait placidement que l’on ne pouvait prédire ce qu’un Concile inspiré par le St. Esprit pourrait faire, mais on ne disait pas que tout était déjà fait et préparé. Personne dans la curie n’avouait, avant le Concile, que le vrai objet de sa convocation fût la proclamation de l’infaillibilité ; mais le 14 Février l’Évêque du Bellay demande au Concile de proclamer l’infaillibilité de suite vu que c’était vraiment là le seul objet de la réunion de l’Église. Cet objet, on le cachait avec le plus grand soin possible avant la réunion. Et quoi qu’il fût parfaitement déterminé dans la pensée du Pape, (ce qu’affirme formellement un théologien dans une réponse à Mgr Dupanloup) le Pape n’en dit pas un mot dans la bulle de convocation du Concile ni dans aucun des autres documents y ayant rapport. Au contraire on tient les Évêques dans l’ignorance du projet aussi longtemps que cela est possible.

Un peu plus tard le cardinal Antonelli répond aux gouvernements que si la théorie de l’infaillibilité leur donnait des inquiétudes, ils pouvait compter que l’on saurait rendre la pratique acceptable ; que l’Église ne pouvait fléchir sur les principes, mais que le Pape, au moyen de concordats et de privilèges spéciaux, satisferait toutes les exigences ; que Sa Sainteté n’entendait pas appliquer le nouvel