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Syllabus, et en 69 par la bulle Aposlolicæ Sedis, le droit d’annuler toute constitution, loi ou rescrit quelconque formant règle politique dans un état, qui ne consacre pas l’immunité ecclésiastique ! Et cela parcequ’il a plu un jour au pape Boniface viii de déclarer dans la bulle Unam Sanctam que tous les droits procédaient du Pape, puisqu’il les tient tous réunis et renfermés dans sa poitrine ! (in scrinio pectoris sui). C’est probablement de cette belle maxime de droit social et chrétien que votre grand Donoso Cortès, l’un des prophètes modernes de l’ultramontanisme, a déduit le correct et lumineux principe de droit public : que « l’homme par lui-même ne possède aucun droit, » pas même je suppose celui de la vie et de la recherche du bonheur ! Et voilà les hommes dont on voudrait imposer les opinions incorrectes à tous les points de vue à ceux qui ont la véritable notion du droit ! Dire que l’homme n’a aucuns droits par lui-même, c’est implicitement dire que Dieu s’est trompé en lui donnant la raison.

Quelle répression des délits sera possible si l’on admet comme règle de l’état la bulle Supernæ dispositionis, émanée par le pape Léon x avec l’assentiment du 5me Concile de Latran, que l’ultramontanisme appelle général quoiqu’il ne fût composé que d’Évêques italiens.

Cette bulle déclare que de droit divin, les ecclésiastiques sont exempts, entièrement et absolument, de toute juridiction civile, et indépendants de la loi civile. Or cette déclaration dénie clairement au pouvoir civil le droit de faire juger et punir les crimes des ecclésiastiques ! Les gouvernements vont-ils accepter en ce siècle une prétention aussi monstrueuse ?

Ainsi un juge serait excommunié ipso facto s’il jugeait et punissait un ecclésiastique coupable de meurtre par exemple ! Cela est rare aujourd’hui, mais c’était très commun autrefois. Et le fait est, Mgr que cette excommunication existe de droit à l’heure qu’il est ici et partout ; mais on n’ose pas l’appliquer pour ne pas provoquer une réprobation générale. Si le Pape Léon x ne s’est pas trompé en définissant le droit divin comme il l’a fait, il est hors de doute que dans n’importe quel pays un juge catholique qui ne se récuse pas quand un ecclésiastique est cité à comparaître devant lui, est excommunié par le fait même. Il ne doit donc être admis ni aux sacrements ni à la sépulture chrétienne à moins d’être absous, par exemple, du singulier péché qu’il aurait commis en condamnant un ecclésiastique à payer une dette à un laïc. Car cela même est un péché d’après les dispositions de cette bulle. V. G. oserait elle aujourd’hui informer nos juges qu’ils sont passibles de refus de sépulture ecclésiastique pour décider un litige quelconque de laïc à ecclésiastique ? Certainement non ! Et pourtant, Mgr, le droit est là, formulé et défini par un Pape approuvé par un concile et annoncé ex cathedrá au monde catholique, et récemment confirmé par le Pape actuel ! Cette disposition du droit ecclésiastique est tout aussi rigoureusement obligatoire que celle qui a trait aux livres à l’index. Pourquoi donc V. G. néglige-t-elle complètement l’une quand elle est si obstinée dans l’application de l’autre ? Si elle ne pèche pas en n’observant pas la première, pourquoi pècherait-elle en adoucissant la seconde dans l’application, ce que font tous ses collègues que la passion n’inspire pas ?

Et c’était précisément cette question de la juridiction civile sur les personnes ecclésiastiques qui a été la cause de la grande querelle entre Henri ii, Roi d’Angleterre et l’Archevêque Thomas Becket. Plus de cent meurtres, sans parler des autres crimes, avaient été commis en deux ou trois années par des Ecclésiastiques, et l’Archevêque s’opposait inflexiblement, sous les instructions du Pape, à ce qu’ils fussent jugés par les cours civiles. Les pénitences que l’Église imposait alors aux prêtres criminels étaient absolument dérisoires, et les plaintes étaient si graves et si universelles contre la démoralisation des ecclésiastiques que le gouvernement sentait la nécessité de