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sévir. Mais l’Église se réclamait de son immunité qui se résumait tout simplement dans la soustraction à tout châtiment de ces grands criminels ! C’est cette résistance injuste du Pape et de l’Archevêque à l’application des lois qui nécessita la passation des Constitutions de Clarendon qui mirent enfin les ecclésiastiques à la raison. Je sais qu’à force de colères et d’intrigues, et en essayant de trahir sa patrie pour la livrer à l’étranger, l’Archevêque obtint la révocation temporaire de ces constitutions, mais le premier coup était porté à l’immunité ecclésiastique et elle disparut peu à peu des coutumes du royaume. Moins de quarante ans après d’ailleurs, St. Louis mettait de son côté, en France, les ecclésiastiques à la raison.

Et ce qu’il y a de mieux dans cette grave affaire, c’est que les outrecuidantes prétention du Pape et de l’Archevêque n’avaient d’autre base que les faux historiques réunis par le Moine Gratien dans son Décret, et présentés au monde comme documents authentiques. Toutes les prétentions du Clergé à la suprématie temporelle n’ont pas d’autres base que les nombreux documents qui ont été falsifiés dans ce but exprès, et même que l’on a quelquefois entièrement forgés, comme la Donation de Constantin. En dépit de l’évidence, des démonstrations même d’écrivains ecclésiastiques, on a maintenu pendant deux siècles l’authenticité de ce dernier document, et cela pour finir par avouer piteusement, quand la vraie science eût parlé, que c’était bien un faux, un document supposé, un mensonge audacieux, une tromperie impudente, et qui pourtant avait été cité par plusieurs Papes comme document respectable et authentique !  ! Voilà comme le parti ultramontain a montré sa sincérité à toutes les époques !  !

Eh bien, les gouvernements vont-ils laisser refleurir en ce siècle ces beaux jours de l’impunité du crime réclamée par le Clergé comme de droit divin ? Et pourtant, Mgr, il n’y a pas de doute que par le Syllabus et les bulles Supernæ dispositionis et Apostolicæ Sedis, ils n’ont pas catholiquement le droit de sévir contre un ecclésiastique coupable d’un crime ! Il n’y a pas de doute que le Législateur qui passe une loi à cet effet, et le prince qui la sanctionne, et le juge qui l’applique et l’officier qui l’exécute et arrête un ecclésiastique, sont excommuniés ! Pourquoi donc les enterre-t-on sans rien dire quand on refuse la sépulture au pauvre Guibord ? Celui-ci est bien moins excommunié que les autres ne le sont de droit et de fait puisqu’il avait signé l’appel au Pape. Est-ce que le Clergé peut ainsi s’affranchir à volonté de toutes les règles de la logique et du bon sens ?

Et les dispositions de la bulle Supernæ dispositionis, Mgr, s’étendent jusqu’aux affaires purement civiles, aux réclamations de dettes par exemple, entre laïcs et ecclésiastiques ! Sous ce système de prétendu droit divin, un laïc n’a pas le droit de poursuivre un ecclésiastique devant des juges laïcs même pour le recouvrement d’une dette. Et le juge laïc n’a pas non plus le droit de rendre jugement contre l’ecclésiastique même si la réclamation est fondée. Il faudrait donc rétablir les anciennes cours ecclésiastiques qui, suivant le très chrétien système de Donozo Cortès, n’admettant aucun droit chez les laïcs puisqu’ils qu’ils doivent obéir en tout aux supérieurs ecclésiastiques, commettaient les plus criantes injustices en parfaite tranquillité de conscience. V. G. n’ignore pas que les cours ecclésiastiques, du neuvième au quinzième siècle, n’admettaient pas le témoignage d’un laïc contre un prêtre. Elles n’admettaient pas même sa plainte bien souvent. Et combien de fois ont-elles condamné à de fortes amendes les parties qui voulaient arranger une affaire avant jugement ? Sont-ce là les beaux temps que le Pape actuel veut faire revenir ? Cet effroyable système a duré plusieurs siècles, Mgr, et nous n’en voulons plus, fût-il recommandé par un Pape !  !

Au reste ceux qui ont éprouvé les allures de la justice romaine d’aujourd’hui dans la question de l’Institut, savent, sans remonter au douzième siècle, ce que vaut la justice ecclésiastique et quelles garanties d’impartia-