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et à les rejetter sur le peuple seul. Le peuple n’est-il pas fait pour le gouvernement ? C’est un prêtre qui nous le dit. Parlant avec Louis XVI, au moment de 89, il lui observe : « Sire, on commence à répandre des idées horribles. Il y a des gens qui osent prétendre que les sujets ne sont pas faits pour les gouvernements, mais que ce sont les gouvernements qui sont faits pour les sujets ! » Et si les sujets sont faits pour les gouvernements, ils le sont encore bien plus pour l’Église. De là l’immunité ecclésiastique dans tous les détails du temporel ; immunité des personnes, et immunité des biens. C’est une des prétentions les plus décidées de l’ultramontanisme que tous les biens du Clergé, de quelque nature qu’ils soient, sont exempts, de droit divin, de toute taxe ou charge publique quelconque, et ce sous peine d’excommunication ipso facto de tous les individus qui composent un gouvernement, parlement et municipalités compris ; le collecteur au même degré que le législateur !

La Civiltà nous apprend de plus que le Pape est juge souverain des lois civiles, parceque les deux autorités, spirituelle et temporelle, se réunissent en lui ! (Civiltà du 18 mars 1871). Donc si une loi empêche les catholiques de persécuter les protestants ; ou si elle abolit ces ordres mendiants qui sont de si parfaits modèles de fainéantise et souvent de vices plus graves ; ou si elle défend d’enlever les enfants aux parents sous prétexte de religion ; ou si elle prohibe la captation testamentaire, le Pape aura le pouvoir d’ordonner au gouvernement qui aura passé cette loi de la rappeler, et ce gouvernement devra s’empresser d’obéir !  !

S’imagine-t-on en vérité que la portion éclairée de la société laïque va accepter ces prétentions d’un autre âge, restes malheureux de traditions séculaires, respectables en leur temps, acceptées il y a six siècles, mais qui n’excitent plus aujourd’hui que le rire des gens sérieux ? S’imagine-t-on commander la confiance du public en exigeant pareilles impossibilités pratiques ? Mais ce qui étonne le plus, c’est que quand on ose encore essayer d’imposer cette vieille défroque des heureux temps de l’omnipotence cléricale, on ait la bonhomie de trouver étrange que les esprits éclairés s’éloignent de la Papauté. On n’a pas assez d’anathèmes pour ceux qui, au 19me siècle, repoussent les traditions, les idées et les institutions du 11me !  ! La suprême perfection sociale, pour la curie romaine, c’est l’inertie !

Chose étrange ! La curie romaine et les Jésuites, que l’on dit si habiles, n’ont pas seulement l’air de se douter que le monde a marché depuis sept siècles ! Ces antiques et vénérables personnages n’ont pas encore découvert que les laïcs ne sont plus ce qu’ils étaient quand on les tenait forcément dans l’ignorance ! Ils flétrissent la science moderne parcequ’elle a recherché et prouvé tous les faux dont le Clergé s’est servi pour ériger l’édifice de sa suprématie, et ils maudissent intelligemment le progrès qui a rendu les laïcs supérieurs aux ecclésiastiques en lumières, en connaissances exactes et en capacité pratique, ce qui leur permet de juger en pleine connaissance de cause leurs supérieurs d’autrefois.

Aussi quels efforts pour faire taire ceux auxquels des études sérieuses ont démontré le faux irrémédiable des prétentions ultramontaines ! Quel luxe de moyens pour préjuger contre eux les masses, et surtout la jeunesse, et pour contenir celle-ci dans l’obéissance aveugle et la soumission, abjecte quelquefois, de l’intelligence aux directeurs qu’on lui donne ! Si cette jeunesse allait s’aviser de penser par elle-même, de faire des études un peu fortes, de sortir du cercle imposé, de chercher le vrai ailleurs que dans nos livres, faits souvent pour la tromper, que deviendrait notre influence ? Il faut donc l’amener par des souplesses infinies, par les plus gracieuses mines, à ne penser que par nous, l’empêcher de se livrer à l’étude approfondie, d’examiner le pour et le contre ; lui procurer des billards, et même des Casinos avec buvette bien garnie pour l’amuser. Et si elle veut absolument lire, et bien on lui glissera adroitement