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rien de tout cela, car si l’on croit ce que l’on prêche on est obligé d’y songer. Et le fait est que toutes les déclarations du pape actuel depuis 1850 démontrent qu’il veut maintenir intacte partout l’immunité ecclésiastique. Il a approuvé l’inconcevable protestation des Évêques des Marches contre les lois qui abolissaient l’immunité ecclésiastique ; il a protesté contre les lois du Mexique et de la Nouvelle Grenade qui abolissaient les cours ecclésiastiques ; il a protesté contre toutes les institutions, dans les divers états catholiques de l’Europe, qui ne reconnaissaient pas l’immunité ecclésiastique dans toute son intégrité. Donc, loin de ne songer à rien de tout cela, c’est, au contraire à tout cela que l’on rapporte et que l’on applique la tactique générale du corps dans le monde. Que signifie donc le sermon du Rév. P. Braun, sinon le rétablissement de l’immunité ecclésiastique, c’est-à-dire l’omnipotence du Pape dans l’administration intérieure des états ? Je sais bien que les trompeurs d’ici nieront ceci en gros, mais moi je m’engage à le prouver en détail.

Eh bien, il m’a semblé qu’il était temps que les laïcs sussent ce que c’était que le droit chrétien dont nous parlent nos journaux religieux ; qu’il était temps de définir clairement les arrogantes prétentions de l’ultramontanisme. L’occasion m’a paru favorable pour faire entendre un peu de vérité. Les dissidences graves qui se sont dernièrement produites au sein du Clergé même n’étaient que la dernière conséquence de la tactique ultramontaine de briser tout ce qui pouvait faire obstacle à l’idée de la souveraineté du corps en tout ordre de choses. On se tromperait beaucoup si l’on croyait que des pamphlets comme la « Comédie Infernale » et des articles comme ceux que nous lisons chaque jour dans le Nouveau Monde, le Franc-Parleur et le Journal de Trois-Rivières, articles où l’on attaque avec tant de virulence les prêtres sensés et raisonnables que l’on trouve encore çà et là dans le pays, ne sont destinés qu’à élucider des points de discipline intérieure du Clergé. On vise plus loin que cela, et le vrai but de toute cette rhétorique ultramontaine est d’infiltrer de plus en plus dans l’élément laïc l’idée de la suprématie du Clergé sur le temporel, l’idée de la supériorité immense du clerc sur le laïc. J’invite le lecteur à bien peser les citations que je fais là-dessus dans ces deux lettres.

La presse ultramontaine n’a si violemment attaqué l’Archevêque, l’Université Laval et les séminaires de Montréal et de Québec que pour courber complètement le Clergé local sous la férule, et le sermon du Père Braun n’a été qu’une leçon, préméditée et préparée depuis longtemps, donnée aux prêtres raisonnables qui croient que l’on fait plus de mal que de bien à la religion en voulant soumettre toute la direction des affaires publiques au contrôle de la Cour de Rome.

C’est contre ces audacieux projets de domination cléricale que j’ai cru devoir protester. Notre ultramontanisme local ayant réussi à faire momentanément taire la presse, a cru l’occasion bonne pour formuler telles doctrines qu’il lui plairait d’indiquer comme obligeant l’esprit et la conscience, et que personne n’oserait protester. « Nous sommes maîtres du terrain, a dit l’un de ses chefs, profitons-en. Nous les avons fait taire, il est conséquemment temps de parler. » Eh bien, j’ai cru qu’il devait se trouver au moins un homme dans un pays qui ne craindrait pas de maintenir le droit national contre l’usurpation ultramontaine ; qui ne craindrait pas de dire tout haut ce que tant de gens pensent tout bas mais craignent d’exprimer en face d’un clergé puissant.

J’ai cru qu’il était nécessaire de rappeler au peuple de ce pays qu’en dépit de toutes les amplifications de collège de la presse ultramontaine, c’est lui et lui seul qui est souverain dans le domaine temporel, dans l’organisation des institutions, dans la législation ; et que toute autre autorité qui vise à la souveraineté ou au contrôle de notre politique ou de nos affaires intérieures ne commet qu’une usurpation que les hommes de cœur doivent repousser.