Page:Destutt de Tracy - Quels sont les moyens de fonder la morale chez un peuple ?.djvu/17

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tude infinie de rapports, comme aucune vérité n’est isolée et étrangère aux autres, nous en devons conclure qu’aucune n’est indifférente pour notre bonheur, qu’aucune n’est réellement inutile, et que toute erreur est nuisible.

C’en est une bien ancienne et bien absurde de croire que les principes de la morale sont comme infus dans nos têtes, et qu’ils sont les mêmes dans toutes ; et, d’après ce rêve, de leur supposer je ne sais quelle origine plus céleste qu’à toutes les autres idées qui existent dans notre entendement. Je m’étonne tous les jours que Voltaire qui nous a fait connaître et goûter Locke, Voltaire qui a combattu et vaincu tant de préjugés métaphysiques, ait continuellement proclamé et propagé celui-là. La religion, dit-il en vingt endroits, est de création humaine ; aussi varie-t-elle suivant les tems et les lieux ; mais la morale est toute divine ; elle est imprimée en nous par la main du Grand-Être : c’est pourquoi ses principes sont les mêmes chez tous les hommes. Et la preuve qu’il donne de cette fausse assertion, c’est que par-tout l’assassinat, le viol ont été mis au rang des crimes, que par-tout on a condamné la violence et la fourberie. J’aimerais autant qu’on dît que la physique est de création divine, et que les hommes n’ont jamais varié sur ses principes ; car tous s’accordent à dire que le feu est chaud, que le soleil est lumineux, et que l’eau est liquide.

Sans doute deux hommes n’ont pu vivre ensemble sans sentir que si l’un d’eux tuait ou blessait l’autre, il détruisait ou troublait les avantages de leur société ; et que si après être parvenus à s’entendre et à convenir de ne pas se faire de mal ils rompaient leurs