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Page:Deulin - Les Contes de ma mère l'Oye avant Perrault.djvu/64

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toucher et de le laisser dans son papier bleu, où il est depuis tant d’années. »

C’était, en effet, ce qu’il y avait de mieux à faire ; car depuis un siècle et demi le conte « tout sec et tout uni » était aussi dans la traduction d’Antoine Le Maçon, lequel mit le Décaméron en français par ordre de la reine de Navarre, l’illustre auteur de l’Heptaméron[1].

  1. i. Le livret de la Bibliothèque bleue procède de la traduction latine de Pétrarque, et non, comme l’a dit Collin de Plancy, de la version française de Le Maçon. Il contient du reste de fort jolies choses. Dans son Histoire des livres populaires, M. Ch. Nisard en donne une édition intitulée le Miroir des Dames ou la patience de Griselidis, autrefois marquise de Salusses, où il est montré la vraie obéissance que les femmes vertueuses doivent à leurs maris. Tours, chez Ch. Placé, in-18 de 14 pages. Ce récit porte le cachet du xviie siècle et doit être celui que Perrault a eu sous les yeux. Bien que trahissant une main peu habile, il n’en est pas moins charmant de naïveté. Nous y avons noté les traits suivants qui peignent tout d’abord les caractères des personnages. Le marquis ne prend pas, comme dans la version de Boccace, la peine de prévenir à l’avance le père de Griselidis. Sûr d’être agréé, il fait dresser la table du festin et part avec ses invités pour chercher la mariée. Il la rencontre devant sa cabane, portant, comme Rébecca, une cruche d’eau sur la tête. Il lui commande de faire venir son père, et, après avoir demandé à celui-ci la main de sa fille, il entre dans la chaumière et dit à Griselidis : « Il faut que tu sois ma femme, n’en es-tu pas bien aise ? » « Elle fut bien surprise de ces paroles, continue le conteur, et de voir de tels hôtes dans sa cabane. Elle répondit : « Monseigneur, je sais bien que je ne suis pas digne d’être la moindre de vos servantes, néanmoins, si c’est votre volonté et celle de mon père, je ne vous dois désobéir en rien. » Et quand le marquis lui a posé ses conditions, elle lui répète encore : « Il me suffit d’être la moindre de vos servantes. Toutefois, puisqu’il plaît à votre grandeur, je prie Dieu que votre volonté soit mon bonheur. » On croit entendre les paroles de la Vierge par excellence à l’ange de l’Annonciation : écce ancilla Domini, fiât mihi secundum verbum tuum, et cette humilité craintive, qui s’effraye d’un destin si éclatant, prépare admirablement le lecteur à trouver toutes naturelles la patience et la soumission que montrera plus tard la pauvre paysanne.