Page:Dick - Le Roi des étudiants, 1903.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

C’est la phase la plus voluptueuse de l’état alcoolique. Le cerveau jouit alors d’une lucidité plus grande qu’à l’état normal, et les idées y dansent tout armées, prêtes à entrer en campagne au premier signal.

Il était donc rendu à ce degré de l’échelle bachique, quand Després, qui l’observait entre deux bouffées de fumée, lui dit doucement :

« Champfort !

— Hein ? » fit le jeune homme, comme surpris de cette appellation inattendue.

Puis, se soulevant à demi sur le canapé où il était presque couché :

« Qu’y a-t-il, mon ami ?

— Il y a, mon cher, que tu n’es pas comme d’habitude et que tu nous caches quelque chose.

— Mais non… mais non, je ne vous cache rien… Que voulez-vous que je vous cache, mes bons amis ?

— Tu es triste comme une porte de prison, et c’est en vain que tu veux paraître gai : la gaieté ne te va plus, et cela depuis longtemps.

— Quelle conclusion tirer de cela ? On n’est pas toujours disposé à la joie. Chacun a ses heures de mélancolie, sans qu’il puisse s’en défendre et sans même qu’il en puisse expliquer la cause.

— Champfort, ne joue pas au plus fin avec moi. Depuis plusieurs mois, je t’observe, et j’ai suivi pas à pas le travail lent, mais continu, mais implacable, qui se fait chez toi. Le peu de gaieté, de bonne humeur et d’insouciance joyeuse qui te reste du Champfort d’autrefois n’est que du vernis, et, sous ce vernis, il y a une grande douleur, une de ces douleurs incurables qui terrassent l’âme la plus fortement trempée. »