Page:Dick - Le Roi des étudiants, 1903.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Ah ! oui, elle est riche et tu es pauvre !… Le voilà bien l’esprit de ce siècle d’argent où tout se cote, où tout se réduit en piastres et centins, où l’on fait marchandise de tout : âme, esprit ou cœur !… Tu verras, Champfort, que dans cent ans d’ici, chaque pensée, chaque sentiment sera matérialisé, pesé dans la balance du spéculateur, prostitué sur le tapis vert de l’agiotage, qui rendra son verdict dans ce genre-ci : « Cette idée pèse “tant” et vaut “tant” la livre, mais la marchandise étant en baisse depuis une demi-heure, je ne puis offrir que “tant” ! »

« Nos petits-fils verront cela, Champfort : je t’en donne ma parole d’honneur. »

À cette boutade de Després, Cardon, Lafleur et le Caboulot partirent d’un indécent éclat de rire. Champfort lui-même, malgré toute la gravité de la situation, n’y put retenir et fit bravement chorus avec ses amis…

Mais le roi des étudiants ne fut pas désemparé.

« C’est bien, messieurs, dit-il ; riez, puisque mes pronostics vous semblent drôles. Vous êtes jeunes, et, conséquemment, vous avez le droit d’envisager l’avenir sous ses plus riants horizons. Pour moi, je suis vieux déjà, avec les vingt-cinq lourdes années qui sont accumulées sur ma tête et les épreuves par lesquelles j’ai dû passer. C’est pourquoi cet avenir que vous entrevoyez si beau ne pouvant plus m’offrir rien qui m’attache, rien qui m’illusionne, je le regarde froidement, je le suppute, je le pèse, ni plus ni moins que s’il s’agissait d’un bout de saucisse ou d’un morceau de jambon ! »

Et, en prononçant ces mots — qui pourtant auraient dû redoubler la bruyante hilarité de ses