Page:Dick - Les pirates du golfe St-Laurent, 1906.djvu/46

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— Dites donc, capitaine… veillez au grain… Si vous alliez vous griser comme un matelot en « bordée », au lieu d’ « empiffrer » le bonhomme !

Thomas prit un air digne.

— Jean Brest, dit-il, apprends que Thomas Noël ne se grise que quand il le veut bien. Or, cette nuit, je n’aurais garde : il nous reste trop à faire.

— Oh ! c’est pure plaisanterie, capitaine : excusez-moi.

— Ne t’inquiète pas : j’entends la faribole. Allons, matelot, toi aussi veille au grain et surtout ne t’avise pas de t’endormir.

— N’ayez crainte ; je suis habitué aux quarts de nuits… « As pas peur ! » comme on dit là-bas, au pays ; maître Jean Brest en a piqué plus d’un, de ces quarts, quand il « bourlinguait » dans la mer des Caraïbes.

— À la bonne heure ! Tu me rassures. Demain, notre ouvrage fait, les mathurins salés du « Marsouin » tireront une bordée de longueur dans les vignes.

— Tonnerre de Brest ! — comme disait mon défunt père, gabier de premier numéro, sauf votre respect, — une petite rigolade nous mettra la boussole au point. En attendant, à la manœuvre, matelot.

— Allons, c’est dit : je m’engouffre.

Et Thomas prit aussitôt la direction d’une construction assez bizarre, attenant au phare par un chemin couvert, d’une vingtaine de pieds de longueur.

Deux fenêtres aux vitres crasseuses rougeoyaient faiblement sous la clarté intérieure d’une chandelle fumeuse.

C’était le logis du gardien.

À en juger par l’immobilité du luminaire et l’absence complète d’ombres mouvantes, le vieux serviteur de l’État devait être seul et aux trois-quarts somnolent.

— Entrons sans crainte… murmura le nocturne visiteur. M’est avis que je serai le bienvenu, car ça n’a pas l’air d’une gaieté folle là-dedans.

Thomas se tâta pour constater la présence de ses bouteilles dans sa vareuse, puis frappant de ses joints calleux à une porte basse, il attendit.

Pas de réponse.

Il frappa plus fort.

Alors un bruit de pas se fit entendre, pendant qu’une voix ahurie disait :